Jean Paulhan et Jean Laborde
18 septembre 2018 - À lire Cultures Lire Livre du mois LivresNo Comment   //   1697 Views   //   N°: 104

Le 21 novembre 1909 eut lieu, à « Tananarive », la distribution des prix des collège et cours secondaire. Grâce aux lettres de Jean Paulhan éditées par Laurence Ink (Lettres de Madagascar 1907-1910, Éditions Claire Paulhan, 2007), nous connaissions déjà le contexte dans lequel le futur écrivain prononça un discours. Les archives du Progrès de Madagascar les complètent : en l’absence de Victor Augagneur, Gouverneur général, Hubert Garbit, Secrétaire général des Colonies, préside la cérémonie au Théâtre municipal. La veille, Jean Paulhan a écrit à sa mère en évoquant, en quelques mots, le sujet de sa petite conférence : Jean Laborde, « un des premiers français qui sont venus ici – un type peu recommandable, mais assez énergique et très bon – qui a failli donner Madagascar à Napoléon III. » Il y revient quelques jours plus tard : « Je t’envoie un journal qui affirme que j’ai été éloquent et un autre où l’on reproduit tout mon topo. Le premier aurait peut-être suffi, et je ne sais pas si l’histoire de Laborde t’intéressera.

C’était un type heureux et qui savait bien vivre. Mon discours était surtout intéressant parce qu’on le représente toujours comme un héros sacrifiant sa vie aux intérêts de la France. J’avais trouvé de vieux Malgaches qui l’avaient connu, et quelques manuscrits sur lui. »

L’envie était grande de lire le texte du discours. Le voici, dans le cinquième volume des Œuvres complètes de Jean Paulhan – le second consacré à son travail de critique littéraire. Il décrit un Laborde entreprenant, prêt à répondre aux souhaits de la reine qui veut des fusils et des canons. À Mantasoa, où il s’est installé, « à côté de la fabrique d’armes et de poudre, Laborde a établi une verrerie, une poterie, une fabrique d’indigo, une savonnerie, une distillerie de rhum. Plus loin, l’on trouve encore une magnanerie et un arsenal de fusées. »

Mais, de ce travail, il n’est resté aucun héritage. Même l’ancien ouvrier de Laborde qui fabriquait encore du savon cinq ans plus tôt est mort sans transmettre le procédé qu’il employait. Une exception cependant : « De tout l’enseignement de Laborde à Mantasoa, une seule chose est restée aux Malgaches d’aujourd’hui : la fabrication des cigares. Avant lui, le tabac était prisé ou chiqué ; il apprit à ses ouvriers à rouler les feuilles et à les fumer. » Un échec « au point de vue malgache », en somme…

Puis Jean Paulhan nuance en approfondissant le portrait et, surtout, sa conclusion mérite d’être méditée en période coloniale : « pour nous qui sommes venus grâce à la protection de la France, c’est peut-être un devoir, un devoir d’amour-propre au moins, de chercher à montrer par notre conduite avec les Malgaches que chacun de nous aurait pu y venir seul et s’y faire accepter. »

Jean Paulhan. Œuvres complètes, tome V : Critique littéraire, II. Gallimard, 784 p., 39,50 €.

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