Dans l’enfer bleu de Bemainty
7 juin 2017 - Grand AngleNo Comment   //   14899 Views   //   N°: 89

Dans la forêt de Zahamena à l’est de Madagascar les fady (tabous) sont nombreux. La terre, les animaux et les arbres sont habités par des dieux et respectés. Cependant, depuis novembre 2016, un nouveau dieu a fait apparition porteur de chaos et de destruction. C’est le Dieu saphir, aussi bleu que le sang qu’il fait couler est rouge.

La nouvelle carrière d’Ambodipaiso après juste une semaine d’exploitation.

Un tas de boue qui pourrait contenir des millions.

Les mineurs se sont construits des abris de fortune avec les matériaux disponibles. Et le résultat ressemble à un paysage de film post-apocalyptique.

Zahamena est un parc national dans la région d’Alaotra-Mangoro et d’Analanjirofo. Une forêt classée au patrimoine mondial de l’UNESCO, dont l’accès est interdit aux touristes. C’est dans cette aire protégée, plus exactement à Bemainty, que l’on a trouvé l’année dernière du saphir, un corindon classé pierre précieuse en joaillerie quand il est bleu (les variétés d’autres couleurs ont beaucoup moins de valeur).

La découverte de ces quelques pierres colorées a complètement bouleversé le mode de vie des villageois. Depuis novembre 2016, prospecteurs, mineurs, entrepreneurs et commerçants venus des quatre coins de Madagascar s’agglutinent par dizaine de milliers dans l’espoir de devenir riches. Le ministère de l’Environnement a mené des actions pour contrôler ce gigantesque flux migratoire et protéger ce qui peut encore être sauvé. Ainsi, des barrages de gendarmes sont mis en place, le premier dans le petit village d’Antsevabe, la porte d’entrée du nouvel Eldorado, le second à Bila, une ancienne exploitation forestière malaisienne.

Parfois quelques gendarmes sont postés à l’entrée des mines et un couvre-feu est instauré après 20 heures.

Brigitte, 12 ans, essaye de déboucher le système d’irrigation.

Ni la pluie ni la grêle n’empêche les mineurs de travailler. Tamisage de la terre dans la carrière d’Antananarivo.

Malgré ce semblant d’ordre, la situation reste totalement hors de contrôle et la sécurité est des plus précaires. La seule chose que les gendarmes peuvent réellement faire c’est de taxer un droit de passage de 5 000 ar pour tous les usagers de la route.

Selon Mohamed, un mineur venu de Diego, un saphir de qualité, dénué d’impuretés dans son cristal et d’un bleu soutenu, peut aller de 5 millions à 20 millions d’ariary. Le saphir de Bemainty a donc tenu ses promesses mais en laissant beaucoup de morts dans son sillage. Les carrières sont appelées par différents noms comme Antananarivo, Milliard 1, Milliard 2 jusqu’à Milliard 5. Au total, on compte pas moins d’une dizaine de carrières de la taille d’un stade de foot et parfois encore plus grands comme celle d’Antananarivo où des hectares de forêts ont été brûlées impunément pour faciliter l’accès aux saphirs.

Pendant que certains s’enrichissent en toute illégalité, d’autres ont tout perdu, comme la famille de Rakotovoavy. Il raconte que dans le passé son village prospérait, mais avec la découverte de la « maudite pierre », son clan a perdu des hectares de rizières et le prix de la vie a doublé en quelques semaines.

La forêt de Zahamena est sacrée et pour demander le pardon et la bénédiction des dieux, les mineurs ont epargné cet arbre et lui apportent des offrandes. Creuser la terre le jeudi est également considéré comme Fady.

Le kapaoka (petit gobelet) de riz qui coûtait 500 ar s’achète désormais à 1 000 ar. Du jour au lendemain, les villageois se sont donc reconverti en mineurs pour s’adapter aux coûts de la vie.
Mais les nouvelles courent vite et les dahalo (voleurs de zébus) n’ont pas tardé à rappliquer, d’autant que ces mineurs novices sont des proies faciles pour eux. C’est comme ça que le Tangalamena (chef) du village s’est pris une balle dans la poitrine et a succombé à ses blessures en novembre 2016. Le Tangalamena Mboara demandait juste un droit de passage de 300 ariary pour financer les travaux d’extension de l’école primaire. En avril 2017, les dahalo sont revenus encore plus nombreux, armés de machettes et de fusils, prêts à se jeter sur le village. Les villageois ont commencé à quitter les lieux et l’école est fermée par manque d’enseignants. Victimes du saphir, des dahalo, de la cupidité humaine, les gens de Bemainty crient à injustice et demandent que cesse chez eux la loi de la jungle.

La forêt de Zahamena est sacrée et pour demander le pardon et la bénédiction des dieux, les mineurs ont epargné cet arbre et lui apportent des offrandes. Creuser la terre le jeudi est également considéré comme Fady.

Texte et photos : #ZanakynyLalana

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