31 décembre aux urgences
1 février 2016 - Archives Grand AngleNo Comment   //   2661 Views   //   N°: 73

Rénovées en décembre 2015, les urgences de l’Hôpital Ravoahangy Andrianavalona (HJRA) sont sur le qui-vive 24 heures sur 24, avec une moyenne de 120 admissions par jour. Les jours de fête ce chiffre double quasiment. Réveillon aux urgences.  

Jeudi 31 décembre, 8 h 30. La journée du Dr Hery Rabenarison commence à l’Hôpital HJRA. Une journée qui durera exactement 24 heures. Après s’être changé, il est temps de prendre le relais de l’équipe de nuit et de faire le débriefing de la veille. « La nuit a été calme, on verra ce que nous réserve la journée », lancet- il aux infirmiers de garde.

Cela fait cinq ans qu’il fait ce boulot de médecin urgentiste. Il sait d’expérience que les jours de fête, l’alcool aidant, ne sont jamais de tout repos aux urgences de l’HJRA. Une dizaine de patients font déjà la queue dans la salle d’attente, les traits tirés, nerveux, impatients, voulant être pris en charge immédiatement. Mais il faut savoir qu’aux urgences on se doit de faire la différence entre celles qui sont vitales et les « différées », celles qui peuvent attendre. Question de priorité. Urgences vitales, tout ce qui relève d’un poly-traumatisme, d’une détresse respiratoire, de grosses douleurs ou d’un pronostic vital immédiat. Différées, tout ce qui ne demande pas une prise en charge dans l’heure. « Certains patients attendent une ou deux heures avant d’être soignés même s’ils sont arrivés en premier. Ils râlent, ils ne comprennent pas forcément qu’il y a un ordre de priorité. »

L’entrée des urgences donne directement sur la première unité constituée par l’accueil. C’est à ce premier niveau que le médecin fait le tri des patients. Les cas les plus graves sont envoyés en salle de déchocage afin d’évaluer leur état ; de là ils passent dans une unité de réanimation où il est établi si le patient doit aller en chirurgie ou pas. « Ce travail de triage devrait être réalisé par un infirmier d’orientation, mais nous n’en avons pas, donc c’est le médecin urgentiste qui le fait. » Il est 10 h 30. Parmi les patients du Dr Rabenarison, un jeune homme un peu sonné est transporté par des amis. Il s’est fait heurter par un bus dont les freins ont lâché. « On peut dire que c’est un cas banal. La majorité des urgences est causée par les accidents de circulation » , explique le médecin.

Le patient est allongé sur le lit pour être ausculté. Finalement, rien de grave. Un pied enflé, quelques égratignures. De part et d’autre du lit, d’autres patients se font déjà soigner. Un petit garçon de 5 ans se fait recoudre le cuir chevelu. Près de lui, une femme, la peau sur les os, est sous sérum. Très affaiblie, elle n’arrive plus à manger depuis plusieurs jours. Les médecins pensent à un problème au niveau de la gorge, un cancer probablement. Mais le diagnostic n’est pas encore prononcé. Soudain c’est l’effervescence. Un bébé de dix jours vient d’arriver, admis pour des problèmes respiratoires. Il est directement transféré dans une salle de soins. Ici, pas de discrimination. Hommes, femmes, enfants de tous âges et de toutes catégories sociales s’y retrouvent. Dans la salle de déchocage, une énième victime de la circulation a le pied droit ensanglanté. Le visage tordu par la douleur, elle ose à peine regarder les gestes du médecin qui est en train de nettoyer la plaie. Autour d’eux, quatre étudiants stagiaires scrutent chaque détail. « Nous recevons beaucoup d’étudiants. Les former fait partie de notre travail. Ils constitueront la relève.» Au total 26 médecins se partagent les deux unités pour prendre en charge 120 patients par jour – 43 000 par an. Les jours de fêtes, ce nombre peut atteindre 200 dans la journée.

Vers 18 heures, un taxi arrive. Les gens font rarement appel aux ambulances et de toute façon, l’hôpital n’en compte que deux. Trois hommes en sortent. Le premier, approchant la trentaine, couvert de sang, une plaie au niveau de la nuque. Le second, la tête en sang également. Le troisième est un ami venu les accompagner. « Encore une bagarre ! » , lance le Dr Rabenarison. « Dès que les gens ont leur dose d’alcool, ils se bagarrent à coups de bouteilles ou à l’arme blanche. » Le diagnostic est rapide, il suffit de les recoudre et de les renvoyer chez eux. Sans véritable leçon de morale. Ce n’est pas le rôle de l’hôpital.

Affecté aux services des urgences depuis cinq ans, médecin depuis douze ans, le Dr Rabenarison a tout vu ou presque. Le plus dur, ce sont les états critiques qu’il faut sauver à tout prix tout en rassurant les familles. Et puis il y a ceux qui réclament des soins privilégiés parce qu’ils évoluent dans les « hautes sphères » . « Ils veulent être soignés en premier, même s’ils n’ont qu’une coupure de rien du tout, juste parce qu’ils sont les “fils de”. Cela m’exaspère ! La médecine n’est pas un exercice mondain… »

La première partie de la journée a été mouvementée. A peine remarque-t-on la pluie qui fait des siennes depuis une heure ou deux. A 20 heures, le service est plutôt calme. Minuit, une nouvelle année commence. Pétarades au loin, mais à en juger par le regard inquiet du Dr Rabenarison, ce n’est jamais de bon augure. De fait, dans les minutes qui suivent, l’accueil se remplit une fois de plus : comas éthyliques, intoxications alimentaires, bagarres, accidentés, et ce sera ainsi jusqu’au petit matin. Les moins chanceux finiront le Nouvel An à la morgue.

Petit matin, bouche sèche, yeux qui brûlent. Il est temps de passer la main. Bilan de la journée : 128 patients ont défilé aux urgences. Une baisse cependant par rapport au 31 décembre de l’année dernière. 8 h 30, Le Dr Rabenarison a réintégré son habit civil et quitte l’HJRA. A son tour de faire la fête. Il ne retrouvera les urgences que dans trois jours.

#AinaZoRaberanto

Photos : #ArifidyRafalimanana

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