Hardielle
14 octobre 2014 - HexagoneNo Comment   //   2856 Views   //   N°: 57

« On ne peut pas tout avoir »

Hardielle Setiarisoa Zafitody, épouse Gagnaire, bientôt 32 ans, est l’aînée d’une famille de trois enfants installée dans le quartier d’Analamahitsy, à Tanà, depuis 1986. La mère est originaire de Midongy (sud-est), le père, ingénieur géologue, d’Ambato (nord-ouest).

Scolarisée dans une école confessionnelle jusqu’en fin de cycle secondaire, en 2007, Hardielle est étudiante en quatrième année d’études françaises à l’université d’Antananarivo. Parallèlement, elle est lectrice-correctrice dans un service délocalisé pour plusieurs éditeurs français. Celui qui deviendra bientôt son époux la contacte : l’homme, sédentaire, n’est jamais « sorti de France » mais souhaite « découvrir Madagascar ».  Huit mois plus tard, le couple se marie et s’envole, un lundi d’avril 2008, afin de reprendre l’affaire familiale : la Boulangerie Gagnaire & fils, depuis 1902, sise à Peaugres, une bourgade ardéchoise. Le mercredi suivant, Hardielle est derrière la caisse, seule face à des clients dont l’esprit de clocher s’énonce sans vergogne : « On n’a pas l’habitude de voir des gens comme vous ici. »

 

Alors qu’elle s’attendait à rencontrer des « gens ouverts d’esprit », Hardielle se heurte à une ignorance bornée des plus sordides : « Tout de moi les étonnait, mon origine, ma couleur de peau, que je parle français ou sache conduire. Même mes chaussures à talons. Ils croyaient que je venais du fin fond de la jungle. » Leur regard lui renvoie une image insoutenable : « J’avais l’impression d’être un monstre avec trois yeux et quatre mains. » Dans le village, le bruit courait même que le mari l’avait achetée voire ramassée sur un trottoir. Passées les premières semaines, tout vient à lui manquer : « J’avais froid, je trouvais la nourriture fade, je n’avais pas d’amis, j’étais loin de ma famille, je voulais repartir. » — Sa première grossesse l’a convaincue de rester ; la seconde l’a définitivement ancrée à ce terroir.

 

Aujourd’hui, sa vie lui paraît « confortable » même si le travail de la boulangerie, « avec les enfants » et « la maison à tenir », est un métier « difficile », un métier qu’elle n’envisage pas d’exercer « jusqu’à la retraite ». Pour autant, Hardielle refuse de se plaindre : « On ne peut pas tout avoir, on va en vacances à Madagascar tous les deux ans, je suis à l’abri du besoin. À Madagascar, j’étais payée 200 000 ariary. » Le bus lui coûtait le quart de son salaire, autant pour la cantine : « Est-ce qu’on peut vivre correctement avec un salaire pareil ? »  La permanence de certaines valeurs propres à la culture malgache empêche, selon Hardielle, l’effondrement de la société : « Ici, le système social est formidable mais la solidarité entre les gens n’existe pas. Le fihavanana, c’est malgache. » En quittant Madagascar, Hadrielle a « pris conscience de l’état du monde : la crise, les guerres… Tout ça fait peur. » C’est très certainement pour se préserver de ce tumulte du monde que le couple prévoit de finir ses « vieux jours » à Madagascar — « en province ».

Texte et photo : #ChristopheGallaire

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