Moustafa Hiridjee : « Le droit d’accise à 10 % a été un mauvais calcul »
9 octobre 2017 - ÉcoNo Comment   //   4776 Views   //   N°: 93

Bien que le secteur automobile à Madagascar connaisse une progression de 4 à 5 % depuis ces trois dernières années, il fait face à un « contexte permanent de crises ». Dans le cadre de la 12ème édition du Salon de l’auto qui se déroulera du 5 au 8 octobre au CCI à Ivato, Moustafa Hiridjee, directeur d’Ocean Trade et président du président du GCAM, nous en dit plus.

Moustafa Hiridjee
Président du Groupement des concessionnaires automobiles de Madagascar (GCAM)

« Je crois surtout que nous payons les frais de l’instabilité politique »

Que pèse le marché de l’auto à Madagascar ?
Nous n’avons pas de statistiques récentes sur le nombre de véhicules qui constitue le parc automobile de Madagascar. Les dernières datent de 2004 et indiquent 170 000 véhicules. En faisant le calcul de 10 000 véhicules de plus par an, on doit être dans les 250 000 véhicules, avec entre 3 000 et 4 000 véhicules neufs vendus par an. En 2008, l’année record du marché, nous avons enregistré 5 000 unités de véhicules neufs ; en 2009, une des plus mauvaises années, nous en étions à 2 300. Cela concerne autant les concessionnaires enregistrés que les importateurs parallèles qui représentent entre 10 et 15 % du marché des véhicules neufs. Dans un contexte où les véhicules d’occasions représentent 70 % du marché.

On a l’impression dans ce secteur que plus ça va, moins ça va…
Il est clair que nous évoluons dans un contexte permanent de crises. Nous avons l’habitude de dire nous avons une marche avant et cinq marches arrière… On avance, on recul, c’est vraiment en dents de scie. Je dirais que nous sommes en progression de 4 à 5 % depuis ces trois dernières années mais les variations sont tellement soudaines et importantes que nous pouvons très bien faire du -10 % d’une année à l’autre. Je ne parlerais pas de crise économique, je crois surtout que nous payons les frais de l’instabilité politique. En 2012, par exemple, nous avons fait une bonne année avec environ 3 400 véhicules neufs. Mais rien n’était joué avant les élections, les gens attendaient de voir, après il y a eu un petit effet de rattrapage. Si les gens sont en confiance, ils investissent car l’achat d’un véhicule n’est pas un acte négligeable. Ils doivent se sentir sereins sur les deux ou trois ans à venir. Actuellement, je pense que le contexte est assez serein, les gens retrouvent l’intérêt par rapport aux investissements ce qui n’était pas le cas pendant deux premières années post-élections.

Le droit d’accise à 10 % instauré en 2015 est-elle une bonne chose ?
Nous avons une position assez claire là-dessus. A Madagascar, nous sommes dans un rapport où le formel est de 20 à 30 % et l’informel de 70 à 80 %. Dans ce cadre-là, mettre des barrières élevées de taxation amène une concurrence déloyale. En effet, les 20 à 30 % qui veulent bien payer les taxes sont nettement désavantagés au niveau des coûts de revient par rapport aux 70 à 80 % de resquilleurs. Mais c’est un mauvais calcul que fait l’État, car en nous retrouvant en position de difficultés, nos volumes sont touchés, mécaniquement, et c’est une baisse de ressources pour l’État. Il serait bien pour décourager la fraude de baisser au contraire le niveau de taxation pour que les gens se disent que le vol n’en vaut pas la chandelle. Quand vous devez cumuler 20 % de droit de douanes, 10 % de droit d’accise et 20 % de taxe à la valeur ajoutée (TVA) sur la vente d’une voiture, on peut se dire que frauder vaut le coup. Mais dans l’utilitaire (camions, pick-up), c’est beaucoup moins le cas ; il n’y a que la TVA et 10 % de droit douanes et donc moins de fraudes et de marché parallèle parce que frauder nécessite un coût. Nous estimons que ans le cadre d’une économie non formalisée comme la nôtre, il serait plus judicieux de rabaisser le montant des taxes et de se rattraper sur les volumes.

Quelles sont les actions entreprises face au marché informel ?
Le GCAM a entrepris de nombreuses actions de lobbying. D’ailleurs, dans le cadre du prochain Salon de l’auto, nous allons signer des conventions avec le ministère du Commerce dans la lutte contre la contrefaçon des pièces détachées. C’est une facette importante de la concurrence déloyale. On vous fait croire que vous êtes en train d’acheter de la marque alors que vous achetez une copie de marque. Nous ne sommes pas opposés à ce que le marché soit libre et que l’on puisse vendre des articles moins chers, mais que ceux qui le fassent l’assument et en informent le consommateur. Alors que là, si vous n’êtes pas connaisseur, vous vous faites avoir. Nous sommes également en discussion avec le ministère du Transport par rapport à l’âge des véhicules qui entrent. Le vieillissement du parc est directement lié au niveau de sécurité qui se dégrade de plus en plus sur les routes. Sans parler des villes qui sont au bord de l’étouffement et auraient besoin de nouvelles routes dans les deux années à venir. Actuellement, il faut deux heures pour faire un trajet qui devrait durer 30 minutes. C’est un gâchis économique ! Tout cela est très compliqué car il y a pas mal d’intérêts contradictoires, beaucoup de gens impliqués sont eux-mêmes dans le commerce informel.

Au dernier Salon de l’auto, en 2015, le crédit automobile était une des solutions proposées. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Le crédit-bail n’existe pas à Madagascar. Il y a encore beaucoup d’obstacles d’ordre fiscal et juridique, notamment sur la double peine pour la TVA car elle n’est pas récupérable. L’État n’accepte pas que le financement puisse se faire sur la partie hors-TVA et qu’elle puisse être reversée sur la durée du crédit. Généralement, le nominal se fait sur la base du prix TTC, ce qui complique les choses. Nous aurons une table ronde avec les banques sur ce sujet pour voir les évolutions du secteur. Cela nous intéresse beaucoup. A La Réunion où le crédit est plus facile d’accès, on a un marché qui a quintuplé.

Justement, où se positionne Madagascar par rapport aux pays de l’océan Indien ?
Nous avons un référent qui est l’île Maurice. Dans les bonnes années, en 2007 et 2008, nous avions un marché identique à cette dernière, avec 5 000 véhicules neufs par an. Aujourd’hui, avec 3 000 ou 3 500, nous sommes à 20 % en dessous. La Réunion est un marché beaucoup plus développé, ils ont le crédit-bail, donc beaucoup plus de facilités. Par contre, Mayotte, Seychelles et Comores sont des marchés plus petits.

La tendance vers le low cost se confirme-t-elle ?
De plus en plus. Les marques allemandes sont légèrement en retrait, les gens s’intéressent davantage aux Japonais ou aux Coréens comme Nissan, Mutsibishi, Mazda, Chevrolet et Toyota. Mais évidemment on constate aussi une fragilisation des produits. Si auparavant, nous vendions des véhicules hyper équipés, aujourd’hui, nous avons avec

Quels sont les attributions du GCAM ?
Nous sommes un regroupement de neuf concessionnaires, représentent environ 90 % des véhicules neufs importés à Madagascar. Nous essayons de construire ensemble. Nous avons eu quelques victoires comme la conduite à droite, malgré la forte opposition de certains grands acteurs informels. Nous dialoguons avec les autorités, mais cela demande beaucoup de patience. Parfois, il faut recommencer à zéro parce qu’il y a eu un changement ministériel. La durée de vie d’un ministre n’excède guère trois à quatre ans. Si le prédécesseur allait dans notre sens, le successeur aura des intérêts contradictoires ou vice versa.

Quelques mots sur cette nouvelle édition du Salon de l’auto ?
C’est un moment de partage où nous apprenons à collaborer avec les concurrents et présentons ce qu’il y a de mieux sur le marché. Beaucoup de concessionnaires vont présenter leurs nouveautés. C’est la raison pour laquelle le salon se déroule tous les deux ans, pour que les participants puissent renouveler leurs produits. La nouveauté, c’est la mise en place de pavillons pour les institutionnels notamment La Direction générale des impôts, la Direction générale des Douanes, le ministère du Commerce et le ministère du Transport dont les rôles sont largement méconnus du public.

Propos recueillis par #AinaZoRaberanto

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