Lettres de Lémurie – Raharimanana, Revenir
18 avril 2018 - CulturesNo Comment   //   1208 Views   //   N°: 99

Cher Jean-Luc, Bravo et merci pour ce livre magnifique. Poète, dramaturge et romancier, tu es le plus illustre représentant de notre littérature dans le monde. Dans ce troisième roman, tu nous racontes ton histoire et l’histoire du pays avec des phrases que j’aurais aimé écrire. Aussi, laisse-moi reprendre tes mots pour le présenter.

« … Il y a un autre monde dehors qui est à nous aussi »
Harlem, Eddy Harris.

Raharimanana, Revenir, roman autobiographique,
éditions Rivages-Payot, Paris, 2018, 300 p.

« Revenir. Longtemps, il a cru que c’était vers l’enfance de son père. Non. Revenir. C’est vers sa propre vie. Vers sa propre famille. Solder cette enfance du père, bien sûr. Mais revenir à lui. Revenir à Elle.

Revenir, revenir ! À cet enfant qu’il était, soûl de la beauté du monde, émerveillé des arabesques des abeilles ou des écritures sans trace des vols d’oiseaux. Il voudrait simplement n’avoir plus à penser la douleur qui n’est pas la sienne. Vivre avec Elle. Vivre avec ses enfants. Ne pas les condamner à attendre sans fin. Attendre qu’il revienne de son écriture. Attendre qu’il se dépouille de ce qui le hante.

Il était parti. Vers cet au-delà des mers que sa famille lui avait toujours prédit. Il était parti sans choisir son moment. Poussé dehors par la censure et la dangerosité des mots qu’il pensait écrire pour lui seul.

Il ne saura pas sur le moment que ce n’était pas un pays qu’il quittait une première fois mais Elle. Il ne saura pas que Revenir n’était pas vers une terre mais vers un amour.

Hira a cette impression d’être au monde non pour dérouler le fil de sa propre vie mais pour démêler les mots d’enchevêtrement des fureurs et des mémoires. En les cisaillant. Sous le vide du temps. Sous les larmes du sens.

Et que s’il écrit depuis son enfance, c’est pour ce mouvement-là, pour ce souffle transmis de génération en génération, parfois coupé par les événements, l’Histoire, pour ce fil tendu entre les morts et les vivants.

Pour effacer cette sensation inacceptable de souffrir sans avoir reçu de coups.

Il est fatigué de sa mémoire, et des choses qui le portent, et des choses qu’il porte. Il veut simplement vivre avec Elle.

Il savait que son écriture allait le mener là, à cet endroit précis où mourait la mémoire.

Il était de ce monde où la magie était sœur jumelle de la réalité, où les récits se transformaient en vie, où les vies se transformaient en récits.

C’est de là qu’il voudrait écrire, de ce bonheur d’avoir eu une simple enfance et des parents aimants.

L’enfance heureuse n’a pas offert une terre à l’adulte.

Il est face à ce paradoxe, son enfance fut un grand bonheur dans la violence de son pays.

Tu es né sous Indépendance, tu as toujours trouvé normal de lier ton destin à celui de ton pays.

« Tsy hiamboho adidy aho, mon Général ! » Je ne me déroberai pas à mes responsabilités, mon Général !

Il avait écrit et su très vite que jamais il n’aurait le choix de ses livres.

Vous avez honte de votre plaisanterie idiote, de ne pas avoir pu surmonter cette question de votre origine, de n’avoir pas pu inventer un pays imaginaire où tout irait bien, sans parler de guerre, sans parler de pauvreté et de torture.

La première fois qu’il écrivit avec la boule au ventre. La première fois qu’il écrivit au-delà de sa propre personne. La première fois qu’il écrivit pour un pays qu’il ne reconnaissait plus. Il ne put pas écrire en malgache. Il écrivit en français. C’était toujours aussi sale mais ça lui faisait moins mal et les mots étaient plus acceptables.

Mais il ne devrait pas. Crier. Hurler. L’homme qui crie attire en lui le scandale qu’il dénonce. Le cri, parfois, détourne le regard. Le cri, parfois, élargit le vide. Il ne devrait pas. Pas crier. Pas hurler.

Le cri est un abcès dans la gorge, plaie en purulence d’indifférence, tue d’abord son auteur.

Hira. Chant. Chant du monde. Chant qui étire jusqu’au possible la note et l’intention originelle. Il ne se rappelle pas quand et comment il avait compris. Les autres avaient choisi la force, la puissance et la beauté. Lui avait choisi la fécondité et la bénédiction. Lui avait choisi le chant.

La colline n’était qu’amoncellement de rochers, chute vertigineuse de minéraux où le soleil venait s’effondrer. Hira s’y allongeait, offrant son ventre en caresse, en mémoire. C’était là qu’il s’était dépouillé de sa peau d’enfant pour entrer dans la chair du poète. L’enfant était mort, et son cadavre n’était autre que le poète. Il t’écrivait des poèmes, Anja. »

Lémurifiquement tien,

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