Jean-Luc Dama , Président du Groupement des exportateurs de girofle de Madagascar, « La girofle peut devenir le produit de rente numéro un »
7 décembre 2016 - ÉcoNo Comment   //   3783 Views   //   N°: 83

Avec ses immenses plantations de la côte Est, Madagascar détient près de la moitié du marché international de la girofle. Malheureusement, on assiste depuis quelques années à une baisse de la qualité, due à la spéculation, au mercantilisme et à bien des mauvaises pratiques. Jean-Luc Dama, président du Groupement des exportateurs de girofle de Madagascar, fait le point avec nous.

Madagascar est le 2e producteur mondial de clou et d’essence de girofle. ?
Madagascar arrive en deuxième position après l’Indonésie en matière de production. Mais nous sommes les premiers exportateurs, car la girofle d’Indonésie est essentiellement destinée à la consommation intérieure. Jusqu’aux années 2000, nous envoyions notre girofle en Indonésie via Singapour. Puis l’Indonésie a officiellement interdit l’importation de girofle pour privilégier la production locale. Nous nous sommes donc tournés vers le marché indien qui est le premier consommateur mondial de girofle. La girofle malgache est très recherchée pour son arôme épicé et fort en bouche. En Inde, c’est l’un des ingrédients principaux de la fameuse sauce massala. On la retrouve également dans la parfumerie, la dentisterie et l’industrie pharmaceutique.

Selon le ministère du Commerce, le potentiel de la girofle est cinq fois plus élevé que celui de la vanille…
Je ne sais pas sur quels critères il se base pour dire ça, mais pour le moment, la girofle, en tant que produit de rente, est derrière la vanille. Malgré les problèmes qu’elle rencontre aujourd’hui, c’est une filière fiable, pourvoyeuses de devises. Si on compte un prix moyen de 24 millions d’ariary pour une tonne de clous de girofles, cela fait entrer près de 300 milliards d’ariary par an. Madagascar détient ainsi 42 % du marché international pour 16 000 tonnes de girofles exportées l’année dernière. Le pays peut produire jusqu’à 18 000 tonnes de girofle, mais à peine 3 000 tonnes dans les plus mauvaises.

Pourquoi cette instabilité ?
Nous sommes tombés depuis cinq ans dans une spirale spéculative qui à la longue affaiblit la filière. Il faut savoir que sur le marché international, le prix du girofle varie en fonction de la récolte indonésienne.

L’Indonésie en tant que premier producteur mondial, avec 90 000 à 100 000 tonnes par an, influe forcément sur les cours. Quand les récoltes sont bonnes, les prix sont au plus bas, quand elles sont mauvaises, les cours flambent. Comme en 2010 où les prix ont atteint 75 millions d’ariary (25 000 dollars) la tonne, du jamais vu dans la filière !

Pourquoi la girofle malgache tarde-t-elle tant à décoller ?
On a beaucoup de mal à préserver la qualité. Les collecteurs, spéculateurs et exportateurs, s’empressent d’acheter au meilleur prix bien avant la date d’ouverture de la saison, et c’est cette girofle « prématuré » qu’on retrouve à l’international. Comme la vanille, la girofle rencontre aussi des problèmes d’insécurité comme les vols dans les champs. Sans parler de la production d’huile essentielle – 1 500 tonnes par an – qui nuit à la filière. Les feuilles de girofle sont en effet cueillies de façon excessive, sans respecter les normes d’exploitation, et c’est le produit qui, au final, perd en qualité.

Des producteurs, collecteurs ou exportateurs, qui sont ceux qui mettent la filière en péril ?
Le pays compte près de 30 000 paysans producteurs. Ce sont ceux qui font le meilleur travail. 

Pendant le séchage, ils séparent bien la bonne girofle des sous-produits. Nous avons, par contre, des problèmes avec les collecteurs qui n’hésitent pas à rajouter des sous-produits, des griffes ou des débris, pour gagner en poids. C’est pourquoi je pense qu’il faut constituer une liste agrée de collecteurs avec un contrôle qualité à chaque transaction entre collecteurs et exportateurs.

Le rôle du GEGM là-dedans ?
Le GEGM a été créé en 2011. En 2012, nous avons mis en place, en collaboration avec le ministère du Commerce, une règlementation à la profession d’exportateur. Cette règlementation exige d’avoir des installations adéquates avec les quantités de girofle que l’entité veut exporter. Nous avons également mis en place une grille de contrôle qualité obligatoire avant toute exportation. Cela permet d’évaluer l’exportateur sur les questions d’infrastructures, d’hygiène, de sécurité au travail et tout ce qui concerne l’exportation. Ces mesures ont permis d’éjecter un certain nombre d’aventuriers. Nous avons aujourd’hui une centaine d’exportateurs agréés. Avec ce système de traçage et de professionnalisation, la qualité de la girofle va aller crescendo.

Le business de la girofle ne participe-t-il pas à la déforestation du pays ?
Il faut savoir ce que l’on veut. Nous, nous sommes pour un juste milieu ! Nous travaillons avec le Centre horticole de Toamasina et l’Union européenne pour une exploitation raisonnée des terres avec des opérations d’incitation au reboisement destinées aux paysans. En fait, il faudrait une politique de reboisement global qui recouvre toute la côte Est et toutes les activités agricoles. Il faut prendre exemple sur l’Indonésie qui plante un million de pieds de girofliers par an et qui ne met pas sa forêt en danger.

D’après vous, existe-t-il une volonté politique de l’État de structurer la filière?
Oui, bien sûr. L’État aide à la mise en place des politiques mais les procédures sont parfois très lentes. Aujourd’hui, par exemple, tous ceux qui veulent exporter du girofle doivent être inscrits dans la liste agréée par le ministère du Commerce. Ils doivent être en règles avec la fiscalité, disposer d’installations optimales pour le traitement de la girofle et avoir une attestation de régularité par rapport à la règlementation des changes. C’est un travail de longue haleine pour que le girofle devienne le produit de rente numéro un de Madagascar. Histoire d’enfoncer le clou !

Propos recueillis par #PriscaRananjarison

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