Soleil Noir : La littéralité brisée de la littérature
22 juin 2025 // Littérature // 4463 vues // Nc : 185

Soleil Noir est un détour obligatoire, si l’on veut se confronter au rayonnant visage ébène, grêlé mais divin, monstrueux mais angélique, de la littérature africaine. Publié dans sa version originale, en 1980, sous le titre Black Sunlight chez Heinemann Educational Publishers, il faudra attendre 2012 pour que le roman soit traduit en français dans une parution des éditions Vents d’Ailleurs.

Une traduction dantesque réalisée par Xavier Garnier et Jean-Baptiste Evette, sous la direction éditoriale de Jean-Luc Raharimanana. D’une lecture ardue, cet ouvrage est sans doute l’un des plus exigeants de la bibliothèque africaine tant dans la forme, parce qu’il frise le délire, que dans le fond, en ce que ce delirium, gage de la liberté sauvage de la littérature au-delà de la littéralité, est le reflet du Zimbabwe et de l’Afrique d’alors, voire d’aujourd’hui encore.

Briser la cage dorée du récit
Il est communément admis qu’un roman et une nouvelle doivent obligatoirement se plier à l’exigence du récit. Que c’est l’alpha et l’oméga d’un ouvrage bien comme il faut. La norme insurmontable si l’on veut faire une littérature convenablement standardisée, polie et lisible. Sauf que Dambudzo Marechera n’est décidément pas de cet avis. Avec Soleil Noir, l’auteur signe en lettres de sang et d’ombres son acte de refus. Autant dire que c’est une gifle.

N’étant pas le premier de la masse d’auteurs contemporains ou modernes (peu importe) à l’avoir fait, il se distingue toutefois parmi les générations d’écrivains africains, des années 80 à aujourd’hui, par l’intransigeant avant-gardisme de son œuvre, dont ce rejet violent des canons des « jolies histoires » est l’un des traits les plus marquants.

Dans Soleil Noir, en effet, ni début ni fin. Oubliez vos leçons de français, car ici, pas d’élément perturbateur ponctuel ni de résolution finale. Pas même de nom pour le personnage principal. À la place, Dambudzo Marechera vous sert une tempête, une masse chaotique entre poésie et essai, saupoudrée d’une fine couche de récit juste assez pour perdre vos méninges sur les sentiers qu’il aime fréquenter. En cela, l’auteur s’élève au rang d’artiste véritable, en livrant au public un roman qui ose réinventer des codes fossilisés, mer désertée par le vent, où les esquifs du verbe sont paralysés par les règles d’or du schéma narratif.

Par-delà la littéralité de la littérature
Qu’est-ce que la littérature, si ce n’est le contraire de la vérité, disait Céline. Mais, au final, répond Ponce Pilate, « qu’est-ce que la vérité ? », n’est-ce pas le réel ? Un syllogisme qui nous permet de déclarer que la littérature est l’acte de réinvention du monde, arrogé de grâce ou de force par l’écrivain. Et Soleil Noir n’est que la manifestation de ce potentiel infini.

Son auteur manie les mots de telle sorte à excéder la compréhension par la surcharge du délire, de la poésie et/ou de la folie pure. Il explose le sens littéral, car chez lui, ce que dit chaque terme importe peu. Seul compte l’éboulement généralisé, la gabegie furieuse des visions, hécatombe d’images, de chimères, qui enivrent et saoulent le lecteur, pris à la gorge dans un portrait chaotique d’un pays en feu, en proie à des spasmes hallucinatoires.

En somme, essayer de comprendre ce livre ou tenter la logique du sens est le meilleur moyen de s’égarer. Mais c’est en acceptant la perdition qu’on tombe sur la juste portée de Soleil Noir. Et en pensant à ce livre brise-catégorie, un jour, le livre refermé, vous direz sans doute, sur les traces de l’écrivain véritable que fut Marechera, que c’est un univers, une forêt hallucinée, où nous constations bien vite que, progressivement, « nous ne pouvions plus prendre la température de notre propre sang, déchiffrer les instincts et les réflexes archétypaux.

Nous nous considérions comme perdus, tellement perdus qu’il ne restait rien de nous qu’un non-sens que la cybernétique aurait peut-être pu enregistrer sur une courbe. De même, les pensées qui contrôlaient nos sentiments n’avaient rien à voir avec celles d’où venaient et où allaient les lignes droites. Il n’y avait pas non plus de centre, ni de circonférence, mais pour ainsi dire des nébuleuses en spirales, des galaxies derrière des galaxies, qui explosaient sauvagement en s’élançant vers l’infini incroyable qui s’étendait au-delà des frontières où nous étions cantonnés. »

Les critiques d'Elie Ramanankavana
Poète / Curateur d'Art / Critique d'art et de littérature / Journaliste.

Laisser un commentaire
no comment
no comment - Exposition : L’économie a bonne mémoire

Lire

10 octobre 2025

Exposition : L’économie a bonne mémoire

De l’époque des royaumes à l’ère républicaine, Madagascar raconte son parcours économique à travers une exposition inédite. Organisée par FTHM Consult...

Edito
no comment - Mada fait son cinéma

Lire le magazine

Mada fait son cinéma

Il fut un temps — pas si lointain — où le cinéma malgache était timide, réduit à quelques projections confidentielles et à des moyens de fortune. Depuis un certain temps – ironie du sort ou simple justice poétique – ce sont nos films qui s’invitent sur les écrans du monde et des festivals sur les cinq continents. Felana Rajaonarivelo, Kuro Mi qui ont été récemment primés dans des festivals internationaux. Avec cette nouvelle génération de cinéaste, Madagascar rafle les prix et, surtout, les regards.
Il fut une époque où parler de « cinéma malgache » provoquait un sourire poli, celui qu’on réserve aux rêves un peu fous. D’autres se moquaient ouvertement de ces productions de niveau abécédaire. Désormais, ces points de vue moqueurs s’effacent pour laisser place à l’admiration. Les images sont plus nettes, les scénarios plus affûtés, les voix plus assurées. On sent cette montée en gamme, cette fierté tranquille d’un art qui prend enfin confiance en lui. Et c’est beau à voir — comme une pellicule qu’on aurait enfin sortie du grenier pour la projeter au grand jour.
Certes, des défis restent à relever, notamment en matière d’infrastructures, de financements, de formation… mais le vent tourne. Et ce vent-là sent la créativité, la sueur, et un peu de ce grain de folie propre à nos conteurs. La Grande-île ne veut plus être simple figurant dans l’histoire du septième art. Madagascar s’installe, doucement mais sûrement, dans le rôle principal. Au fond, ce renouveau n’est pas qu’un phénomène culturel. C’est une déclaration : ici aussi, on sait raconter. Et mieux encore, le faire rêver.

No comment Tv

Interview - Mascha et Vincent Paquot Rasquinet - Octobre 2025 - NC 189

Découvrez 𝐌𝐚𝐬𝐜𝐡𝐚 et 𝐕𝐢𝐧𝐜𝐞𝐧𝐭 𝐏𝐚𝐪𝐮𝐨𝐭 𝐑𝐚𝐬𝐪𝐮𝐢𝐧𝐞𝐭, comédiens, dans le 𝐧𝐨 𝐜𝐨𝐦𝐦𝐞𝐧𝐭® NC 189 - octobre 2025. 
Au mois de septembre, les compagnies belges 𝐓𝐢𝐠𝐮𝐢𝐝𝐚𝐩 et 𝐅𝐓𝐋 𝐉𝐮𝐠𝐠𝐥𝐢𝐧𝐠 étaient de passage à Madagascar. Initialement venus dans la Grande île pour assister au mariage de leurs amis, les deux comédiens ont eu un agenda très chargé. Ils ont présenté – presque chaque jour – la pièce muette « 𝑰𝒅𝒚𝒍𝒍𝒆𝒔 𝒂𝒃𝒓𝒂𝒄𝒂𝒅𝒂𝒃𝒓𝒂𝒏𝒕𝒆𝒔 ».

Focus

Randonnée du CASM

Randonnée du Club des Amateurs de Scooters de Madagascar - CASM - à Behenjy, le 17 octobre.

no comment - Randonnée du CASM

Voir