Le dernier roman de Maryse Condé, L'Évangile du Nouveau Monde est une œuvre intrigante. L’écrivaine entame son roman alors qu’elle est déjà aveugle. Elle doit alors dicter son livre. Des questions se posent dès lors. Pourquoi un tel livre et à ce moment là?
Un roman, un dernier
La raison qui a poussé l'écrivaine à prendre de nouveau le chemin ardu de son art au terme d'une vie, questionne. Atteinte de cécité, écrire, écrire encore, peut-être une dernière fois avant de rendre l'âme, mais pourquoi ? À ce stade d'une carrière, tout n'a-t-il pas déjà été écrit ? Les honneurs, la reconnaissance n'ont-ils pas déjà couronné le dur labeur, le talent, l'art de la grande Maryse Condé? En parcourant L'Évangile du Nouveau Monde, la réponse vient. On y sent une Maryse Condé joueuse qui a la plume facile. Les mots viennent, coulent, deviennent rivières, ruisseaux, minces filets, torrents, au gré du souffle d'une écrivaine qui s'amuse et s'arroge le droit de jouer de ses mots, même devant la mort, même la vue perdue. Écrire, écrire toujours, et cela jusqu'au dernier précipice. Peu importe l'histoire, même s’il faut dire qu’elle est belle et horrible, le fait même d’avoir écrit est ici divin. C'est une revendication silencieuse, celle de la vie, la vraie, qui ne plie pas, jamais.
Une histoire aussi vieille que le monde
Plus un sujet a été traité plus il est difficile de l’aborder. Car l’histoire que nous livrent les lignes successives de ce petit roman n'est pas inédite. L'Évangile du Nouveau Monde, est une ambition déjà tentée. Mise à part La Bible, c'est Le Christ re-crucifié de Kazantzaki, par exemple, ou encore les romans de José Saramago. Cependant, Marysse Condé met ce récit tant ressassé à son échelle, à la hauteur des Caraïbes et du monde moderne. Elle a su insufflé à cette histoire une tropicalité ne s’encombrant pas d’exotisme. Le style est là, il porte l'ensemble. Et à la fin, un message, comme un testament. Car la dernière heure vient et un message s'impose. Et c’est l’amour toujours, un amour que Pascal, le personnage principal, ne va pas trouver dans l’élèvement christique. Ce n’est pas le caritas d’un Jésus de Nazareth car Pascal est plus humain. C’est un amour simple, accessible, celui qu’il a pour sa femme, une prostituée reconvertie. Un amour faillible mais touchant. Un amour bien réel.
Les critiques d'Elie Ramanankavana
Poète / Curateur d'Art / Critique d'art et de littérature / Journaliste