Les critiques d'Elie Ramanankavana : SAMI TCHAK ou Le continent et du presque rien
10 décembre 2023 // Littérature // 654 vues // Nc : 167

SAMI TCHAK ou Le continent et du presque rien, Pour penser et repenser l'Afrique.
Ce livre, lauréat du prix Ivoire 2022, a été écrit par l'écrivain et sociologue togolais Sami Tchak. Publié aux édition JC Lattès, il s'agit d'un roman qui nous emmène dans l'Afrique profonde au cœur de nos peuples pour repenser ce que nous sommes aujourd'hui en remettant en cause toute la pensée sur l'Afrique.

Un roman d'idées qui nous emmène à repenser notre identité
Le livre nous embarque dans la vie d'un ethnologue français,  spécialiste de l'Afrique, dénommé Maurice Boyer. L'ouvrage se divise en Trois. La première partie, L'âge d'or des esprits fécondés et fécondante, commence avec les préparatifs de la thèse de doctorat de Maurice encadré  par le presque mythique Georges Balandier. On passe alors en revue le paysage intellectuel français de l'époque. De Senghor à Camus, le panorama est fabuleux. On vit l'âge d'or des sciences sociales.

Page après page, on réalise que dans ce roman tout tient essentiellement sur la critique combien nécessaire du fait que l'Afrique n'a jamais été pensé par les africains eux-mêmes et, dans le cas échéant, cette pensée « autogénérée » est recalée dans un ghetto où elle est condamnée à moisir. L'auteur nous fait alors découvrir que tout le système de pensée sur lequel repose les analyses de nos peuples est étranger.

Ce qui nous emmène à une question fondamentale, quand allons-nous prendre le temps de nous penser ? Parce qu'à force d'avancer, sans connaître ni notre véritable visage ni avoir décidé de notre chemin, nous sommes condamnés, Malgaches et Africains, au ravin.

Ce livre est dès lors d'une grande nécessité, car en l'espace de quelques 311 pages il nous fait survoler tout le connu sur les sociétés africaines en termes de sciences sociales. Il nous livre les théories nécéssaires pour éclairer notre lanterne. Une lanterne qui, dans les contextes actuels, a besoin de brûler plus fort que jamais.

Ainsi va des deux principales théories développées dans ce livre. D'abord le dynamisme schizophrénique, il pousse l'Africain à magnifier ses origines tout en tendant de toutes ses forces vers les comportements occidentalisés. Puis la théorie de la fermentation, développée, elle, par un des amis de Maurice dénomé Zakari, un Togolais. À partir du verbe «gniing», qui veut dire à la fois fermentation, nostalgie, mais aussi douleur. Zakari parle de la fermentation des souvernirs de la colonisation chez la plus grande partie des Africains. Cette fermentation qui produit ivresse, perte de lucidité sur le passé, glorification des aspects identitaires, mais aussi épuration du passé nous conduit tous à considérer l'époque d'avant la colonisation comme un âge d'or. Elle fait que nous voulons ressembler à ceux qui nous ont dominés.

Une réussite mitigée comme roman
La deuxième partie, Au cœur du village, se déroule dans le village Tem de Tèdi, au Togo; Maurice, le personnage principal, est rebaptisé Morou. Le récit gagne en chair, il s'épaissit. De nouvelles saveurs excitent l'esprit du lecteur. Le rêve et la réalité se mélangent, se confondent. La magie naît au milieu du réel au voisinage du délire onirique. Une impression que l'auteur aurait pu développer  jusqu'au bout pour entraîner son lecteur dans ce maelstrom  vertigineux. Mais il laisse, pour on ne sait quelle raison, se dissoudre en vain l'ivresse. En même temps, apparaît le personnage de l'Imam. À un moment, il occupe la place centrale du livre. Son passé brumeux lui confère un côté mystérieux qui intrigue. Le lecteur est fasciné. Mais soudain, l'auteur abandonne son personnage, quitte le village. Cet univers mystique, cet atmosphère onirique, se décompose sans avoir livré tout son suc.

On se retrouve alors dans la troisième partie, Vies et Discours: Afrique Fermentée. On est projeté en France, toujours sur les pas de notre checheur. À la Sorbonne, il va soutenir sa thèse centrée autour de quelques idées. « Que les noirs étaient devenus au fil des siècles des faibles chez qui les autres peuples forts avaient réussi à tuer l'essentiel sur le plan spirituel. Les Arabes d'abord, les européens ensuite. Ils étaient aujourd'hui rongés de l'intérieur par des virus exogènes de la domination dont certaines avaient fini par devenir une part de leur identité. [...] Les noirs n'avaient conquis personne de façon significative, mais ils furent et demeuraient encore à la portée de tout désir de conquête. Ce sont en vérité les plus grandes femmelettes de l'histoire... » (P.177). Tout le livre va tourner dès lors autour des deux théories précédemment décrites: Le dynamisme schizophrénique de Maurice Boyer et la théorie de la fermentation de son ami Zakari, résumée en ces termes : « Par la théorie de la fermentation, je considère toute forme de domination qui vise à inculquer au dominé un profond sentiment d'infériorité et à ne lui laisser pour voie de salut que sa métamorphose en vue de ressembler parfaitement ou partiellement à son dominateur.»  (P.277) Les scènes de chaque chapitre deviennent des faire-valoir, des réceptacles à idée. Ce foisonnement d'arguments et d'idées au final étouffe le roman. L'on conçoit qu'il s'agisse au fond d'une critique capitale dans le devenir de l'Afrique, d'une problématique touchant chaque pays colonisé, cependant un roman reste un roman. Sami Itchak aurait pu faire de son livre un monument, mais il se complaît dans l'exposition d'idées qui tuent, au lieu d'enrichir, son histoire.

On comprend tout de même qu'un tel livre puisse gagner le Prix Ivoire, un prix en définitif qui s'intéresse peut-être au fond plutôt qu'à la forme. La forme qui est pourtant l'objet principal de tout art, doit-on le rappeler ?

Toutefois, Le continent du Tout et du presque Rien, traite d'une problématique large et va au fond de questions poignantes. Rien que pour cela, il mérite qu'on le lise attentivement.

SAMI TCHAK ou Le continent du Tout et du presque rien,
Pour penser et repenser l’Afrique

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