Les critiques d'Elie Ramanankavana : Raharimanana et sa véritable victoire
9 janvier 2024 // Littérature // 3103 vues // Nc : 168

Le 7 décembre, Jean Luc Raharimanana recevait pour l’ensemble de son œuvre le prix Benjamin Fondane. Durant la cérémonie, tout le faste né- cessaire a été déployé pour l’un des plus grands écrivains malgaches, au palais de Béhague, siège de l’Ambassade de Roumanie, à Paris. Une consécration dirait-on quand ce prix vient s’aligner seulement à la victoire intemporelle d’un artiste qui a réussi à nommer l’homme et sa réalité complexe.

ZA, AU CONFINS DES MOTS
Si dans ses nombreux ouvrages Raharimananaose les mots et leurs limites, son roman « Za », paru en janvier 2008 chez Philippe Rey, demeure l’œuvre où cette manière de malaxer le verbe jusqu’à nommer l’innommable atteint des sommets. Le personnage principal est un fou. Za, le fou extra-lucide. Tout le roman est bâti sur le discours décousu, frôlant le babillage insensé, par moment vrai à en être cruel, drôle à en vomir, de ce malade très sain. Le long du livre, Raharimanana n’a aucun scrupule à désosser, désarticuler, briser la langue française pour la défaire et la refaire au-delà de ses bornes qu’il dépasse volontier. De la sorte naît une langue nouvelle, seule capable de dire ainsi la démence misérable d’un pays qui perd la tête. La grammaire est à genoux, l’orthographe assassinée. Un crime finement mené donnant un style mémorable et bouleversant. Jamais meurtre n’a été aussi beau.


Pour vous en donner un aperçu, le livre commence ainsi: celle d’un écrivain qui ne s’est pas contenté de raconter de jolies aventures, celle d’un écrivain qui porte chaque mot comme une lumière nouvelle sur l’homme, pour le dire dans toute sa complexité. C’est de cette manière que Raharimanana devient et demeure l’un des plus grands hommes de lettre de ce pays, l’un des seuls à s’être élevé à hauteur d’homme et à avoir fait une véritable littérature.

« Eskuza-moi. Za m’eskuze. A vous déranzément n’est pas mon vouloir, defouloir de zens malaizé, mélanzés dans la tête... »Mais tout cela n’est rien encore. Ce livre il faut le lire, et plusieurs fois sans doute. Car il est oeuvre qui ne souffre aucune critique. Monumentale, il dé- borde ses pages et envahit nos rêves pour troubler à jamais nos sommeils. Une réussite bien étrange.

REVENIR, OU ÉCRIRE PAR LE SOUFFLE
« Si l’on vous demande, un jour, quel écrivain Malgache écrit le mieux, ne dites jamais Jean Luc Raharimanana. Car, lui, n’écrit pas mais respire par sa plume. Et ses textes ne sont pas de mots, mais de souffles, tissés les uns aux autres, pour devenir une voix, précieuse, car elle veille sur les forfaits du temps, charriant sa charge d’amnésie », ces mots là ce sont les miens, alors que je venais d’achever ma lecture du dernier roman de Raharimanana «Revenir», paru en 2018, aux éditions Rivage. J’y reviens car briser les mots, les réinventer est à la portée du premier écrivain africain, quand faire de la plume “un acte de respirer” relève de l’exploit.
Mais même cela ne suffit pas à dire la victoire de Raharimanana. Oubliez ses histoires, oubliez les. Ou plutôt pénétrez-y jusqu’à leur cœur, là où ça palpite. Car là seulement se révèle la véritable réussite de Raharimanana, celle d’un écrivain qui ne s’est pas contenté de raconter de jolies aventures, celle d’un écrivain qui porte chaque mot comme une lumière nouvelle sur l’homme, pour le dire dans toute sa complexité.

C’est de cette manière que Raharimanana devient et demeure l’un des plus grands hommes de lettre de ce pays, l’un des seuls à s’être élevé à hauteur d’homme et à avoir fait une véritable littérature.

UNE OEUVRE À DÉCOUVRIR ABSOLUMENT
Lire Raharimanana ce n’est pas lire, c’est vivre, c’est rêver. Vivre plus et rêver plus fort. Car le rêve permet la vie et la vie qui ne rêve pas se meurt déjà... Il faut rêver dur et étendre la vie entre deux soleils...sur toutes les terres, sur tous les coeurs, les bouches, pour oser les larmes et rebrousser le sang... Jusqu’à annuler l’hémorragie.Lire Raharimanana c’est autre chose. C’est frais. C’est frais à jamais. Et cela suffit déjà à le lire. Mais l’auteur dit:« Sans la parole, que serait l’acte ? Si je n’énonce pas, si je ne traduis pas en mots ce qui bout dans ton cœur, si je n’invente pas, comment comprendre les actes que tu poses ? »Raharimanana c’est cela. Cette écriture chair. Cette écriture nécessitée. Cette écriture où le mot couché s’il ne l’a pas été aurait explosé ailleurs pour faire des morts, des blessés. Voilà pourquoi lire Raharimanana. Et si vous ne l’avait pas encore fait, n’attendez pas ou attendez un peu encore que l’on lise ensemble son prochain roman prévu l’année prochaine.

Raharimananaet sa véritable victoire

Laisser un commentaire
no comment
no comment - Tourisme : Coup d'envoi de la 11ᵉ ITM

Lire

12 juin 2025

Tourisme : Coup d'envoi de la 11ᵉ ITM

Les chiffres sont en hausse. La 11ᵉ édition de l'International Tourism Fair of Madagascar (ITM), le rendez-vous annuel des acteurs du secteur du touri...

Edito
no comment - Déconnexion

Lire le magazine

Déconnexion

Chaque mois de juillet, un phénomène saisonnier bien malgache s’observe : la migration estivale des familles tananariviennes vers leurs villages d’origine. Loin du bitume, des bouchons et de la Jirama capricieuse, c’est le grand plongeon anthropologique. À l’arrivée, les enfants ouvrent des yeux ronds : « Quoi, on peut faire bouillir de l’eau sans micro-ondes ? » Feu de bois, bassine en plastique et douche à ciel ouvert deviennent soudain les nouvelles technologies de pointe. On redécouvre que l’on peut cuisiner sans vitro-céramique, que les zébus ont toujours la priorité, et que l’eau du puits, ça muscle les bras et l’esprit. Quant au réseau mobile, il s’obtient en grimpant dans le manguier le plus proche. Mais attention, pas question de se moquer. Ce retour aux sources est aussi retour à l’essentiel : repas partagés, récits de grand-mère, jeux sans écran. Et en bonus, un stage intensif en autonomie énergétique, bien utile pour affronter les coupures à Tana. Finalement, c’est peut-être le village qui est le plus en avance. Bonnes vacances… et bon bain (à la bassine) !

No comment Tv

Interview – Rakotondrahaja Harilala Elia Tolojanahary - MAI 2025 - NC 184

Découvrez Rakotondrahaja Harilala Elia Tolojanahary , photographe spécialisé dans le nu artistique, dans la rubrique LOISIR du 𝐧𝐨 𝐜𝐨𝐦𝐦𝐞𝐧𝐭® Magazine, numéro de mai 2025 - NC 184. Photographe spécialisé dans le nu artistique, Rakotondrahaja Harilala Elia Tolojanahary est un passionné qui raconte des histoires à travers chaque cliché. Son objectif : casser les clichés sur ce genre qu’il qualifie de « liberté », encore trop mal perçu à Madagascar. 

Focus

Star tour à Antsonjombe

Star tour à Antsonjombe dans le cadre de la fête de la musique.

no comment - Star tour à Antsonjombe

Voir