Le 30e Congrès International de Primatologie s'est tenu à Madagascar en juillet dernier. Une ironie du sort pour un pays qui abrite la plus grande diversité de primates au monde… et les plus menacés. Le professeur Jonah Ratsimbazafy dresse un bilan alarmant.
En juillet dernier, Madagascar a accueilli le 30ᵉ Congrès de la Société Internationale de Primatologie (IPS), réunissant 800 chercheurs issus de 50 pays. Un événement qui se présente à la fois comme une salutation aux nombreuses espèces de primates endémiques de Madagascar, un clin d’œil aux recherches menées par les scientifiques malgaches, mais également comme une alarme quant aux dangers auxquels sont exposés les primates dans la Grande-Île.
« L’événement a également été une occasion rare pour nous, primatologues malgaches, de présenter nos travaux et d’échanger directement avec nos homologues du monde entier », fait valoir le professeur Jonah Ratsimbazafy, primatologue, non moins ancien président de l’IPS et actuel président du Groupe d’Étude et de Recherche sur les Primates de Madagascar (GERP).
Ce scientifique de haut vol soutient que les recherches sont permanentes et en continu à Madagascar pour ce qui est de la préservation des primates. « Notre pays abrite l’une des plus extraordinaires diversités de primates au monde : plus d’une centaine d’espèces recensées, toutes endémiques de l’île. Les scientifiques estiment que Madagascar est le pays où les primates sont les plus menacés au monde », souligne-t-il. Selon l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), plus de 90 % de ces espèces sont aujourd’hui menacées d’extinction, victimes de la déforestation, du braconnage et du changement climatique.
Les nouveaux chiffres concernant les 112 espèces de lémuriens (toutes endémiques) confirment une situation critique. Le professeur Jonah Ratsimbazafy regrette que, sur les 25 primates les plus menacés au monde, six soient malgaches.
Le braconnage accentue encore la menace. Faute d’efficacité des alertes diffusées dans la presse locale, l’IPS prévoit la publication d’un communiqué à l’échelle internationale. Jonah Ratsimbazafy rappelle également que 28 000 lémuriens sont actuellement détenus illégalement comme animaux de compagnie. Une fausse solution, puisque ces espèces arboricoles ne peuvent se reproduire qu’en milieu forestier. Leur rôle écologique y est par ailleurs essentiel : certaines plantes ne peuvent germer qu’après avoir traversé leur système digestif, grâce aux sucs gastriques qui déclenchent la germination. « Or, Madagascar ne compte plus que moins de 10 % de ses forêts primaires. Chaque année, sur les 40 000 hectares que l’État prévoit de reboiser, seuls 10 000 à 11 000 sont effectivement plantés, tandis que 100 000 hectares disparaissent dans les incendies », déplore le primatologue. Mais, en plus, la qualité du reboisement pose aussi problème. « Les lémuriens ne se nourrissent pas de feuilles d’eucalyptus ou de sapin, mais de plantes endémiques adaptées à leur habitat », rappelle-t-il.
« Ces espèces invasives, en plus d’être inutiles pour la faune locale, appauvrissent les sols et assèchent les nappes phréatiques, comme cela a été le cas en Éthiopie », explique le scientifique.
Lors de ce Congrès au mois de juillet, les primatologues malgaches ont été fiers de dévoiler les fruits de leur travail. Parmi les innovations présentées, Jonah Ratsimbazafy a souligné l’utilisation de drones capables de suivre des déplacements aussi fins que ceux des abeilles. Le recours au « camera trap », un piège photographique discret, a également permis de réaliser une avancée notable, à savoir la découverte du comportement géophage de l’aye-aye, qui consomme de la terre. Le président du GERP a par ailleurs évoqué une expérience de « lémurothérapie » menée à Andasibe, où les sons émis par les lémuriens ont contribué à l’amélioration de l’état d’un jeune homme atteint de troubles mentaux. Selon lui, Madagascar pourrait miser sur le développement du tourisme communautaire plutôt que sur l’exploitation des énergies non renouvelables, telles que les mines. Les recherches et avancées scientifiques sont là, mais le GERP veut faire appel à une approche intégrée : protéger les forêts restantes, même fragmentées ; privilégier la reforestation à partir d’espèces endémiques
(ce que le GERP réussit déjà à 80 %) ; et relier les corridors forestiers entre eux pour favoriser la dispersion des espèces. Mais aucun effort ne sera durable sans prendre en compte la pauvreté des communautés vivant à proximité des forêts. « La non-application des lois de protection de l’environnement est un problème majeur, mais la pauvreté contraint également les populations à puiser dans les ressources naturelles disponibles », conclut le primatologue.
Mpihary Razafindrabezandrina
https://www.association-gerp.org
https://ipsmadagascar.org