Loin des clichés d’une danse exotique, l’ori tahiti raconte des histoires, exprime des émotions, libère les corps. À travers Motu Ula Ula, , littéralement « l’île rouge » en tahitien, cette discipline s’ancre peu à peu dans le paysage culturel malgache.
Début septembre, à l’hôtel du Louvre d’Antaninarenina, la salle a vibré comme sous l’effet d’un séisme. Les grondements des toere – ces tambours polynésiens capables de faire battre le cœur plus vite – ont fait trembler la terre autant que les corps. Puis les danseuses de Motu Ula Ula sont entrées et ont offert une immersion dans l’ori tahiti, cette danse traditionnelle polynésienne où les hanches parlent et les bras récitent des poésies. Créé il y a trois ans, le groupe Motu Ula Ula compte actuellement une quinzaine de membres, issues de toutes les classes d’âge. « Il n’y a pas d’âge pour danser l’ori tahiti, pas de genre non plus, même si nous ne comptons pas encore de membre masculin pour l’instant. Mais ça viendra », souhaitent les danseuses.
L’ori tahiti est tout sauf une simple chorégraphie. On croit souvent qu’il s’agit d’une danse exotique, d’un simple déhanchement gracieux. En réalité, c’est un langage codé où chaque geste, chaque vibration des hanches ou inclinaison du bras a une signification précise : amour, peur, surprise, stupéfaction. « Les pas et les gestes ne sont pas que des ornements. Ils forment des mots, et leur enchaînement compose une histoire que le public comprend », explique Ny Aina Raharinarivonirina, fondatrice et chorégraphe du groupe. Formée à Paris, cette polyglotte parlant couramment le tahitien a ramené cette discipline à Antananarivo en 2022, convaincue que les contes polynésiens pouvaient dialoguer avec l’imaginaire malgache. La troupe a ainsi dansé sur Isekely de Mahaleo ou encore adapté les contes de Trimobe et d’Ikotofetsy.
Mais derrière la grâce, il y a l’endurance. S’accroupir, se relever d’un bond, maintenir deux minutes d’ondulations frénétiques dans un solo d’otéa… c’est presque un marathon. Cela demande une condition physique redoutable. « C’est très sportif, mais tellement libérateur », souffle Annick Ramino. Ancienne danseuse de danse latine, elle a trouvé dans l’ori une liberté rythmique insoupçonnée. Les membres de Motu Ula Ula revendiquent aussi une esthétique différente de celle qu’imposent souvent les scènes de danse occidentales. Ici, pas de taille mannequin exigée. « Nous sommes fières de nos corps », assurent-elles avec aplomb. Leurs rondeurs donnent du volume, de la sensualité aux ondulations, défiant ainsi les clichés.
À Antananarivo, l’ori tahiti reste encore confidentiel. Mais ailleurs dans le monde, il fait l’objet de compétitions en Europe, en Asie ou aux États-Unis. Motu Ula Ula rêve d’y hisser haut le nom de Madagascar. « Ce n’est qu’une question de temps », sourit Ny Aina. En attendant, elle travaille à la vulgarisation de cette discipline qu’elle qualifie de langage universel.
Solofo Ranaivo