Les critiques d'Elie Ramanankavana : Bibiche de Raozy Pellerin
13 mai 2024 // Littérature // 3860 vues // Nc : 172

En 2022 paraissait le roman de l'écrivaine d'origine malgache et comorienne Raozy Pellerin intitulé Bibiche. Un roman d'un grand intérêt autant pour son écriture fluide que pour sa poésie discrète, mais surtout pour sa capacité à réinventer les thèmes de la littérature indianocéanienne.

Un roman qui nous sort de l'obsession identitaire
De La Réunion aux Comores, des Seychelles à Madagascar, tous sommes-nous des îles. Cette insularité, et je ne vous apprends rien en cela, a entraîné chez nous un repli sur soi regrettable. Pour nous, n'est monde que cette terre délimitée par notre océan, au-delà, rien. Si bien que notre culture a été réduite à de jolis objets exotiques, des façons de cartes postales appât à touriste, qui ratent la hauteur nécessaire pour atteindre une échelle humaine. Tout ça n'est que rappel car nous le savons. Mais nécessaire puisque c'est dans ce contexte que naît Bibiche. Ce roman est le fait d'une Raozy Pellerin elle-même de nos îles, de trois d'entre elles précisément : Madagascar, Comores et La Réunion.
Dedans, l'écrivaine nous raconte l'histoire d'une réfugiée. Bibiche son nom. Elle a fui le Congo, a rejoint clandestinement la France après avoir été mise en prison suite à une manifestation politique mal tournée. Commence alors son périple pour régulariser sa situation. Le récit vire tragique.

La France renie son identité, met en doute tout son passé, l'enferme dans un asile d'où à peine ose-t-elle sortir.
Le paradis hexagonal devient un enfer et Bibiche de dire « le pays des droits de l'homme n'était en fait qu'une simple expression vide de sens». Elle croise une autre congolaise, Dinah. Elles nouent une solide et franche amitié. Mais Dinah, devant la dureté des juges français qui n'ont eu de cesse que de douter d'elle, se jette par la fenêtre et meurt. Un suicide qui laisse effondrée.

Dans toute cette histoire, dont je vous préserve la fin, Raozy Pellerin fait montre d'une compréhension profonde de la condition d'exilé en France. Elle fait preuve d'une connaissance de la réalité congolaise, insère volontiers dans son texte des quantiques en Lingala. Raozy Pellerin a rejoint l'autre, l'a embrassé et a confondu son être avec lui, le temps d'une œuvre dans une véritable magie réservée à la littérature la plus fine. Par cette réussite, son roman explose un plafond de verre, celui qui nous enferme dans l'ici seulement. Il élargit notre horizon, nous élève pour nous maître à hauteur d'homme, par-là entendez tous les hommes, d'ici et d'ailleurs. Et c'est cela qu'il nous faut, non pas la complaisance dans ce que nous seuls nous reconnaissons. Si nous voulons que demain notre littérature existe, il s'élever jusqu'à Bibiche, entendez par-là à l'échelle humaine.

Un roman auquel il faut rendre justice
En plus de toutes ces qualités, ce roman est d'une écriture fluide et l'écrivaine qui aime assez les dialogues, les manies de manière très juste. Dans aucun cas les échanges ne sonnent faux. Tout est à sa place. En même temps, une poésie sans tapage traverse tout le roman et rehausse son charme. Ainsi va de ce passage qui parle d'un viol et du mécanisme psychologique de protection conduisant à la bipolarité. « Quand son corps était proie, son âme s'échappait, prenait ses distances. Alors, cette enveloppe corporelle restait à même le sol, pesante. Trop fatiguée pour prendre l'air, trop abîmée pour quitter l'ombre ». Un extrait où le merveilleux de la langue côtoie la violence pure.

En cela, il faut faire justice à Raozy Pellerin, lui faire une place de choix dans le paysage littéraire malgache car elle le mérite amplement d'autant que son roman est d'une importance capitale pour le devenir de notre littérature. Oui, Raozy Pellerin a sans doute accouché de notre littérature de demain. J'espère dans les prochains mois pouvoir organiser autour de son livre des discussions littéraires et autres rencontres pour faire connaître Bibiche au public malgache. C'est d'une importance capitale.


Bibiche de Raozy Pellerin,
ou comment élargir la littérature d’ici ?

Laisser un commentaire
no comment
no comment - Paskero sort "C'est la bella vita"

Lire

7 septembre 2025

Paskero sort "C'est la bella vita"

Le chanteur français Paskero a annoncé ce 5 septembre la sortie de son clip « C'est la Bella Vita » chantant son amour pour Madagascar, qu'il interprè...

Edito
no comment - A moitié... mais plein

Lire le magazine

A moitié... mais plein

Madagascar, éreintée par les mauvaises nouvelles ? Eh bien, rien n’arrête désormais notre île-horizon. À force de scruter le verre à moitié vide, on a fini par rater le somptueux punch qui le remplit. Pourtant, il déborde joyeusement.Prenez la culture ! KVNTO, un chanteur de Toamasina rejoint l’album d’un monde qui parle plus de 200 langues (réellement ! pas juste un tour de Babel gadget). Mika Kely brille aux États-Unis, Betia en Europe, tandis que nos stylistes, écrivains et chefs VIP raflent des prix sur les cinq continents. Peut-être que Jaojoby, roi du salegy, ou le groupe Tarika, adulé jusqu’à Time « 10 best bands on planet Earth » nous avaient déjà avertis qu’on pouvait sortir la tête (et les talons).Côté technologies et sport, nos talents raflent médailles et trophées. Jiu-jitsu, pétanque jusqu’au championnat en robotique… nos compatriotes font parler – en bien – de la Grande-île. Pour ce qui est des relations internationales – surtout en matière de développement économique - Madagascar a accueilli au mois d’août le 45ᵉ sommet de la SADC et s’est également positionné comme partenaire-clé au TICAD19 Japon, avec création d’une Chambre de commerce nippo-malgache. Voilà ce qu’on appelle être tellement en lumière qu’on brûle un peu nos lunettes pessimistes.Oui, les problèmes persistent. Mais à NoComment, on choisit de braquer le projecteur sur ce qui marche. Pour cueillir ces pépites, il faut parfois arrêter d’écouter les mauvaises ondes. Alors oui, le pays est à moitié... plein. Et on va continuer à le dire, haut et clair.

No comment Tv

Making of shooting mode – AOÛT 2025 – NC 187

Retrouvez le making of shooting mode du 𝗻𝗼 𝗰𝗼𝗺𝗺𝗲𝗻𝘁® magazine, édition août 2025 - NC 187.Prise de vue : Ankaditany Ampitatafika 
Collaborations : Tanossi  – Via Milano mg  – HAYA Madagascar  - Akomba Garment MG - Carambole 
Make up : Réalisé par Samchia 
Modèles : Fitahiana, Mitia, Nolan, Ulrich, Mendrika, Odyah, Johanne, Stevie, Santien, Mampionona 
Photos : Andriamparany Ranaivozanany 

Focus

MOOR1NG

MOOR1NG au Palais des Sports Mahamasina

no comment - MOOR1NG

Voir