Brouette malgache, ou pas !
19 octobre 2023 // Métiers & Petits Métiers // 4312 vues // Nc : 165

Une brouette est une brouette. C’est-à-dire un moyen de transport irremplaçable dans sa catégorie, quand il s’agit de déplacer du sable, de l’engrais, des pierres, etc., d’un point A à un point B. Là où il n’y a pas de brouette, une myriade de femmes et d’enfants doivent prendre la main, et ce n’est pas très brillant en terme d’efficacité. Point d’usine de fabrication de brouettes à Madagascar, hélas ! La débrouillardise a pris le relais, de petits ateliers se sont constitués. 

J’en ai repéré un à Andohatapenaka, Antananarivo Ouest. Dans la cour de cette modeste maison enserrée dans le marais, comme portée par le Tsikafono envahissant (laitue d’eau ou pourpier, Pistia stratiotes, qu’on ramasse par Gony entiers pour nourrir les zébus). Le marteau est roi ; ça martèle du matin au soir, qu’il s’agisse de découper les tôles au burin, de les remborder, d’aplatir les cornières chauffées au rouge.

Une brouette métallique, c’est essentiellement un bac en tôle, des brancards et une roue. L’atelier utilise trois types de roues : la roue de métal, la moins chère, la roue avec un bandage de caoutchouc plein, la roue avec un vrai pneu emprunté aux scooters, qu’on peut gonfler. La tôle, elle, est découpée dans de vieux fûts métalliques mis à plat, une fois qu’ils sont débarrassés de leur contenu (huile, goudron, chimie). Le fût, acheté 15 000 Ar à Isotry, est déroulé et aplani ; il offre une tôle de 110 par 190 centimètres, propre à constituer la caisse, une fois découpée, rembordée et rivetée. Pour les brancards, pas question d’acheter de la cornière neuve ! Un ferronnier est dédié à la seule tâche de souder ensembles les petits bouts de cornière de récupération (achetée le long du canal Andriantany par exemple). Un autre les affine et les courbe à la forge. Pas de roulements à billes pour porter les axes de roue, mais de simples boîtes (Boaty), logements formés de bouts de cornière de 35 portés au rouge, aplatis sur eux-mêmes et enroulés à la pince et au marteau autour d’un martyr en acier durci. Les brouettes sont peintes hâtivement, à coup de pinceaux rageurs, en rouge pour les plus chères, en vert pour les autres.

Une vingtaine d’ouvriers travaillent là. Ils produisent une cinquantaine de brouettes par jour, ce qui fait à l’année 15.000 brouettes. Pas mal M. Tina ! Et avec très peu de pièces neuves, seulement quelques boulons et écrous ! Ses brouettes partent par camions entiers vers les grandes villes de province. Sachant qu’il vend ses brouettes entre 80 et 90 0000 Ar qu’elles sont revendues entre 100.000 et 150.000 Ar, une filière est belle et bien créée. 

Le modèle économique est-il viable ? Oui, si l’on considère que la brouette importée de 100 litres (Made in France, de la marque Haemmerlin) se vend entre 300.000 et 400.000 Ar dans les quincailleries. Mais le diable se cache dans le marketing. Un grand magasin ne vient-il pas de lancer une promotion pour des brouettes au prix de 140 000 Ar TTC. Battu M. Tina ! Fierté nationale ou pas, aucun Malgache n’achètera ta brouette bricolée et cabossée, s’il a en face une brouette lisse et sans aspérité, importée de surcroît. L’alerte est chaude. Une autre menace assombrit le ciel de M. Tina : des ouvriers sans doute dissidents se mettent à fabriquer des brouettes dans leur cour ! Certes, ils sont lents et ne produisent que 2 ou 3 brouettes par jour, dans le désordre, mais ils ont l’outrecuidance de vendre dans la même catégorie de prix que M. Tina. 

M. Tina se bat pour développer ce qu’on pourrait appeler une économie de masse, ses ouvriers sont spécialisés, ils travaillent sur de longues séries, il a du stock pour voir venir, il parcourt les marchés pour acheter au plus juste — car avant de bien vendre, il faut savoir bien acheter. Rien n’est garanti. Des entreprises au niveau mondial, autrement plus puissantes, développent des stratégies qui pourraient bientôt s’intéresser au marché malgache. M. Tina devrait voir plus grand, s’il en a les moyens, et monter une véritable usine, avec de grosses emboutisseuses pour sortir des caisses de brouette « nickel », avec des salles de peinture pour peindre les brouettes au pistolet, au lieu de les badigeonner dans sa cour, comme il le fait actuellement. Il part de très bas, sans aide extérieure (la comparaison n’est pas flatteuse, mais un petit pays comme Haïti fabrique de plus belles brouettes, en important il est vrai certains composants, comme les bacs et les roues, chercher sur le web : Guide de fabrication d’une brouette de chantier). A cet effet, il faudrait aussi que l’Etat mette la main à la poche, abaisse sa rente de situation, fasse tourner ses méninges, favorise un climat de saine concurrence, supprime les taxes douanières sur les matières premières importées.

Texte et photos : YA

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Il fut un temps — pas si lointain — où le cinéma malgache était timide, réduit à quelques projections confidentielles et à des moyens de fortune. Depuis un certain temps – ironie du sort ou simple justice poétique – ce sont nos films qui s’invitent sur les écrans du monde et des festivals sur les cinq continents. Felana Rajaonarivelo, Kuro Mi qui ont été récemment primés dans des festivals internationaux. Avec cette nouvelle génération de cinéaste, Madagascar rafle les prix et, surtout, les regards.
Il fut une époque où parler de « cinéma malgache » provoquait un sourire poli, celui qu’on réserve aux rêves un peu fous. D’autres se moquaient ouvertement de ces productions de niveau abécédaire. Désormais, ces points de vue moqueurs s’effacent pour laisser place à l’admiration. Les images sont plus nettes, les scénarios plus affûtés, les voix plus assurées. On sent cette montée en gamme, cette fierté tranquille d’un art qui prend enfin confiance en lui. Et c’est beau à voir — comme une pellicule qu’on aurait enfin sortie du grenier pour la projeter au grand jour.
Certes, des défis restent à relever, notamment en matière d’infrastructures, de financements, de formation… mais le vent tourne. Et ce vent-là sent la créativité, la sueur, et un peu de ce grain de folie propre à nos conteurs. La Grande-île ne veut plus être simple figurant dans l’histoire du septième art. Madagascar s’installe, doucement mais sûrement, dans le rôle principal. Au fond, ce renouveau n’est pas qu’un phénomène culturel. C’est une déclaration : ici aussi, on sait raconter. Et mieux encore, le faire rêver.

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