Soleil Noir : La littéralité brisée de la littérature
22 juin 2025 // Littérature // 220 vues // Nc : 185

Soleil Noir est un détour obligatoire, si l’on veut se confronter au rayonnant visage ébène, grêlé mais divin, monstrueux mais angélique, de la littérature africaine. Publié dans sa version originale, en 1980, sous le titre Black Sunlight chez Heinemann Educational Publishers, il faudra attendre 2012 pour que le roman soit traduit en français dans une parution des éditions Vents d’Ailleurs.

Une traduction dantesque réalisée par Xavier Garnier et Jean-Baptiste Evette, sous la direction éditoriale de Jean-Luc Raharimanana. D’une lecture ardue, cet ouvrage est sans doute l’un des plus exigeants de la bibliothèque africaine tant dans la forme, parce qu’il frise le délire, que dans le fond, en ce que ce delirium, gage de la liberté sauvage de la littérature au-delà de la littéralité, est le reflet du Zimbabwe et de l’Afrique d’alors, voire d’aujourd’hui encore.

Briser la cage dorée du récit
Il est communément admis qu’un roman et une nouvelle doivent obligatoirement se plier à l’exigence du récit. Que c’est l’alpha et l’oméga d’un ouvrage bien comme il faut. La norme insurmontable si l’on veut faire une littérature convenablement standardisée, polie et lisible. Sauf que Dambudzo Marechera n’est décidément pas de cet avis. Avec Soleil Noir, l’auteur signe en lettres de sang et d’ombres son acte de refus. Autant dire que c’est une gifle.

N’étant pas le premier de la masse d’auteurs contemporains ou modernes (peu importe) à l’avoir fait, il se distingue toutefois parmi les générations d’écrivains africains, des années 80 à aujourd’hui, par l’intransigeant avant-gardisme de son œuvre, dont ce rejet violent des canons des « jolies histoires » est l’un des traits les plus marquants.

Dans Soleil Noir, en effet, ni début ni fin. Oubliez vos leçons de français, car ici, pas d’élément perturbateur ponctuel ni de résolution finale. Pas même de nom pour le personnage principal. À la place, Dambudzo Marechera vous sert une tempête, une masse chaotique entre poésie et essai, saupoudrée d’une fine couche de récit juste assez pour perdre vos méninges sur les sentiers qu’il aime fréquenter. En cela, l’auteur s’élève au rang d’artiste véritable, en livrant au public un roman qui ose réinventer des codes fossilisés, mer désertée par le vent, où les esquifs du verbe sont paralysés par les règles d’or du schéma narratif.

Par-delà la littéralité de la littérature
Qu’est-ce que la littérature, si ce n’est le contraire de la vérité, disait Céline. Mais, au final, répond Ponce Pilate, « qu’est-ce que la vérité ? », n’est-ce pas le réel ? Un syllogisme qui nous permet de déclarer que la littérature est l’acte de réinvention du monde, arrogé de grâce ou de force par l’écrivain. Et Soleil Noir n’est que la manifestation de ce potentiel infini.

Son auteur manie les mots de telle sorte à excéder la compréhension par la surcharge du délire, de la poésie et/ou de la folie pure. Il explose le sens littéral, car chez lui, ce que dit chaque terme importe peu. Seul compte l’éboulement généralisé, la gabegie furieuse des visions, hécatombe d’images, de chimères, qui enivrent et saoulent le lecteur, pris à la gorge dans un portrait chaotique d’un pays en feu, en proie à des spasmes hallucinatoires.

En somme, essayer de comprendre ce livre ou tenter la logique du sens est le meilleur moyen de s’égarer. Mais c’est en acceptant la perdition qu’on tombe sur la juste portée de Soleil Noir. Et en pensant à ce livre brise-catégorie, un jour, le livre refermé, vous direz sans doute, sur les traces de l’écrivain véritable que fut Marechera, que c’est un univers, une forêt hallucinée, où nous constations bien vite que, progressivement, « nous ne pouvions plus prendre la température de notre propre sang, déchiffrer les instincts et les réflexes archétypaux.

Nous nous considérions comme perdus, tellement perdus qu’il ne restait rien de nous qu’un non-sens que la cybernétique aurait peut-être pu enregistrer sur une courbe. De même, les pensées qui contrôlaient nos sentiments n’avaient rien à voir avec celles d’où venaient et où allaient les lignes droites. Il n’y avait pas non plus de centre, ni de circonférence, mais pour ainsi dire des nébuleuses en spirales, des galaxies derrière des galaxies, qui explosaient sauvagement en s’élançant vers l’infini incroyable qui s’étendait au-delà des frontières où nous étions cantonnés. »

Les critiques d'Elie Ramanankavana
Poète / Curateur d'Art / Critique d'art et de littérature / Journaliste.

Laisser un commentaire
no comment
no comment - Tourisme : Coup d'envoi de la 11ᵉ ITM

Lire

12 juin 2025

Tourisme : Coup d'envoi de la 11ᵉ ITM

Les chiffres sont en hausse. La 11ᵉ édition de l'International Tourism Fair of Madagascar (ITM), le rendez-vous annuel des acteurs du secteur du touri...

Edito
no comment - Sans langue de bois

Lire le magazine

Sans langue de bois

Juin célèbre la langue malgache. Une langue douce, chantante , subtile — que l’on admire, que l’on dit aimer, mais que l’on néglige au quotidien. Mais à sa place, on a un sabir moderne, un étrange cocktail de malgache, de français et d’anglais. Et les jeunes ? Ils jonglent, sans vraiment maîtriser aucune des trois. Alors on s’indigne, on accuse l’école, les réseaux sociaux, l’époque.
Mais ça tape à côté. Les langues sont vivantes, elles mutent, s’adaptent, empruntent. Vouloir figer la langue malgache dans le marbre, c’est oublier qu’elle-même s’est forgée dans les métissages. Au lieu de condamner l’évolution, peut-être faudrait-il l’accompagner avec lucidité. Éduquer sans mépriser. Valoriser sans enfermer. Et surtout, cesser de pleurer une langue qu’on refuse d’habiter pleinement.

No comment Tv

Interview – Rakotondrahaja Harilala Elia Tolojanahary - MAI 2025 - NC 184

Découvrez Rakotondrahaja Harilala Elia Tolojanahary , photographe spécialisé dans le nu artistique, dans la rubrique LOISIR du 𝐧𝐨 𝐜𝐨𝐦𝐦𝐞𝐧𝐭® Magazine, numéro de mai 2025 - NC 184. Photographe spécialisé dans le nu artistique, Rakotondrahaja Harilala Elia Tolojanahary est un passionné qui raconte des histoires à travers chaque cliché. Son objectif : casser les clichés sur ce genre qu’il qualifie de « liberté », encore trop mal perçu à Madagascar. 

Focus

Association Mamelomaso - Alahamadibe

L’Association Mamelomaso a célébré, du samedi 29 mars au lundi 31 mars dernier, l'Alahamadibe, le Nouvel An des Malagasy, à Ankazomalaza - Ambohimanga Rova

no comment - Association Mamelomaso - Alahamadibe

Voir