Odéam Rakoto : Maître du théâtre de brousse
3 juin 2022 // Arts de la scène // 6027 vues // Nc : 149

Il aurait eu centans cette année. Odéam Rakoto, né en avril 2022 est une figure emblématique du théâtre malgache. Des pièces en malgache ou traduite en malgache, son amour pour Rabearivelo, sa fascination pour Molière, son engagement pour l’éducation à travers le théâtre, tout cela a animé Odéam Rakoto, précise Doly Odéamson, son fils aîné.

Homme de théâtre, de danse et de musique, Odéam Rakoto était surtout un défenseur de la culture et de la langue malgache. Il tombe très tôt dans le monde artistique en publiant, à 12 ans, ses premiers poèmes dans la rtevue protestante Teny Soa. Après avoir été mécanicien d’avion et mécanicien dans le port de Toamasina (Tamatave), il revient à sa passion, l’art. « Mon père est le dernier de cinq enfants. Ses parents l’ont envoyé à l’école protestante Ambatovinaky pour qu’il devienne percepteur ou fonctionnaire. Et c’est là-bas, qu’il découvre le théâtre auprès du comédien Rabarinjaka qui lui demande d’intégrer sa Troupe Ramanda. Il a rencontré Madame Christine, la mère de Lalao Rabeson, Rose Lala, la fondatrice de Radio Tananarivo.  Elle lui a demandé d’animer une émission de chansons humoristiques qui parle de la vie quotidienne et qui a fait sensation auprès des auditeurs. » Ses camarades de classe le surnommaient Odéam, le verlan de maedo (maestro)  mais son vrai nom est Rakotovao. Il décide alors de créer des pièces ou des chansons engagées comme « Aody ry Iarivo », « Tra-boina » ou « Mifalia ny tany mamiko »

Il avait du mal à accepter l’exil de Ranavalona III en Algérie et crée la pièce Zana-baliha. « Ce sont des thèmes qui intéressent son public, c’est-à-dire, la patrie, l’indépendance… Mon père était nourri par le spleen de Rabearivelo. On retrouve beaucoup de mélancolie dans ses pièces même si elles sont teintées d’humour. »

À 30 ans, Odéam créé sa propre troupe qui apparaît longuement dans le film français La Bigorne, Caporal de France. En 1958, lors de la tournée du Théâtre de l’union culturelle à Madagascar, on lui a demandé d’expliquer la pièce La Jalousie du Barbouillé, mais en malgache. Il découvre ainsi les œuvres de Molière et n’hésite pas à traduire L’Avare ou Ralaikahidy, Les Fourberies de Scapin ou Isambilo Katsepy, mais également Le Médecin malgré lui ou Dokotera tsy fidiny. « Pour la petite anecdote, une dame est passée nous voir il y a quelques années en disant être la fille d’Odéam. Bien sûr, nous étions étonnés. Mais elle nous a expliqué qu’à force de rire, sa mère a accouché durant la pièce Ralaikahidy. Odéam lui a donné le nom d’Odette et lui a dit qu’elle pouvait assister à toutes les pièces de théâtre qu’elle veut jusqu’à sa mort. »

À chacune de ses représentations, le public était enthousiaste. Odéam aime son pays et trouve espoir en 1960, jour de l’indépendance de Madagascar. Même s’il ne fait de politique, il est content que Madagascar revienne aux Malgaches et il fallait célébrer cela. Il crée la chanson Azonay e ! Tsy avelanay. « Notre père nous a toujours appris à ne pas faire de discrimination. Madagascar est pour tous les Malgaches et nous ne faisons qu’un. Ici, chez nous, à Ambohitahara, nous avons aménagé un endroit pour recevoir les artistes de toute l’île, de l’Androy, du Bestimisaraka… »

Grâce à son engagement, son amour pour la patrie, le président Tsiranana le nomme directeur artistique de la troupe nationale baptisée Ravinala et Gilles Ramarison en tant que directeur de la musique. La troupe réalise une tournée en Allemagne, en Grèce et en France. « Pour information, Bodovoahangy, la première Miss Madagascar a également joué dans cette troupe ainsi que plusieurs comédiens originaires de Tuléar (Toliara), Mahajanga… » Durant leurs tournées, Odéam est repéré par Jean Vilar, le fondateur du festival d’Avignon. Il lui propose de suivre un stage de théâtre pendant six mois à la rue Blanche à Paris. Grâce à ce stage, Odéam réalise que le théâtre peut être déplacé en dehors d’une salle. Revenu à Madagascar, il lance le théâtre décentralisé, un théâtre plus près du peuple, des gens de la campagne. Pour lui, le théâtre a plusieurs fonctions comme la valorisation des cultures locales, un moyen de renforcer l’unité nationale, un médium efficace pour éduquer particulièrement les populations rurales.

Conscient de ce que le théâtre peut apporter au sein de la société, il fonde en 1964, l’Imadefolk ou Institut malgache d’art dramatique et de folklore, la première et la seule véritable école d’art dramatique à Madagascar. Il travaille en étroite collaboration avec le Centre culturel Albert Camus (CCAC), l’actuel Institut français de Madagascar. « Il faisait beaucoup de spectacles, de formations pour les jeunes. Pour lui, le théâtre était un moyen de contribuer au développement d’une société. » Il a donc décidé de faire des tournées de brousse et de donner des spectacles éducatifs dans différents villages. Malheureusement, en 1972, il s’écroule sur la scène de Behenjy durant la représentation de Rafatro, une adaptation malgache de La Jalousie du Barbouillé. Après une année d’hospitalisation, il décède en 1973, à l’âge de 51 ans. Aujourd’hui, ce sont ces enfants qui perpétuent la tradition avec la troupe Landyvolafotsy.  


Aina Zo Raberanto  

La troupe Odéam Rakoto.
Représentation de la pièce Sazy Mihantona.
Doly Odéamson, fils aîné de Odéam Rakoto et directeur artistique de la compagnie Landyvolafotsy.
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Il fut un temps — pas si lointain — où le cinéma malgache était timide, réduit à quelques projections confidentielles et à des moyens de fortune. Depuis un certain temps – ironie du sort ou simple justice poétique – ce sont nos films qui s’invitent sur les écrans du monde et des festivals sur les cinq continents. Felana Rajaonarivelo, Kuro Mi qui ont été récemment primés dans des festivals internationaux. Avec cette nouvelle génération de cinéaste, Madagascar rafle les prix et, surtout, les regards.
Il fut une époque où parler de « cinéma malgache » provoquait un sourire poli, celui qu’on réserve aux rêves un peu fous. D’autres se moquaient ouvertement de ces productions de niveau abécédaire. Désormais, ces points de vue moqueurs s’effacent pour laisser place à l’admiration. Les images sont plus nettes, les scénarios plus affûtés, les voix plus assurées. On sent cette montée en gamme, cette fierté tranquille d’un art qui prend enfin confiance en lui. Et c’est beau à voir — comme une pellicule qu’on aurait enfin sortie du grenier pour la projeter au grand jour.
Certes, des défis restent à relever, notamment en matière d’infrastructures, de financements, de formation… mais le vent tourne. Et ce vent-là sent la créativité, la sueur, et un peu de ce grain de folie propre à nos conteurs. La Grande-île ne veut plus être simple figurant dans l’histoire du septième art. Madagascar s’installe, doucement mais sûrement, dans le rôle principal. Au fond, ce renouveau n’est pas qu’un phénomène culturel. C’est une déclaration : ici aussi, on sait raconter. Et mieux encore, le faire rêver.

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