Des salles de cinéma devenues lieux de location, puis temples pour églises charismatiques. Du plein essor à la fermeture, Jean-Jacques Rakotondralay y a passé des décennies. Aujourd’hui bureaucrate, le sexagénaire revient sur la grande passion de sa vie et ses années dans les salles de projection d’Antananarivo. Et… coupé !
Cinéphile invétéré, grand fan de Jim Kelly, Jean-Jacques est tombé dans le cinéma comme Obélix dans la potion magique. Son père, contrôleur puis caissier dans une salle de la capitale, l’y a initié très jeune. « En 1978, j’avais 18 ans. Je sillonnais les salles de Tana : Soa à Behoririka, l’immeuble Luxor d’aujourd’hui, Ako, Ritz, Roxy et Rex Analakely. Huit Ariary devant, douze au milieu et vingt au balcon », raconte-t-il, les yeux brillants.
Plus tard, il reprend le métier paternel et transforme sa passion en gagne-pain, témoin direct de l’âge d’or des salles. « Les queues n’en finissaient pas. Des îles voisines et des petites salles venaient chercher leurs films chez nous », raconte-t-il, nostalgique. Le cinéma ouvrait alors Madagascar au monde : westerns, espions, drames, et ces fameuses courses entre projectionnistes pour changer de bobines à la volée.
Puis arrive 1985. L’État réquisitionne les salles. Le directeur général du Consortium cinématographique est expulsé. « On diffusait des films moins attirants, plus propagandistes », soupire Jean-Jacques. Les films diffusés avaient perdu de leur qualité et de leur exclusivité. Peu à peu, les salles se dégradent, ferment. En 1996, le rideau tombe définitivement. « Quand je passe devant ces bâtiments grillagés, j’ai un pincement au cœur. J’y ai laissé une grande partie de ma vie », confie-t-il.
À la nostalgie des vakodrazana avant projection succède l’amertume. Les cinés deviennent des « balle de ping-pong » entre dirigeants successifs. Les films perdent qualité et exclusivité. Jean-Jacques regrette aussi l’époque des visas stricts (A, B, C) et des contrôles rigoureux. « Le cinéma devait éduquer. La police des mœurs passait, et gare aux infractions ! » Aujourd’hui, la prolifération des « ciné-gargotes » – maisons transformées en salles avec TV et cassettes pour 50 Ariary – le désole. Depuis 2007, les anciennes salles du Consortium (Tana, Antsiranana, Toamasina…) appartiennent à une société privée, louées pour spectacles et cultes. Jean-Jacques, lui, s’est adapté au streaming… sans oublier ce passé vibrant. Les projecteurs sont éteints, mais les souvenirs restent allumés.
Rova Andriantsileferintsoa