Jacarandas : Arbres-pouvoir
9 novembre 2025 // Histoire // 35 vues // Nc : 190

Ils font rêver les promeneurs d’octobre, mais leur histoire sent la poudre et la cendre. Les jacarandas, ces arbres de carte postale, sont aussi les témoins d’un effacement méthodique de la mémoire royale malgache.

Chantés par Lolo sy ny Tariny dans leur tube Zakarandà, les jacarandas semblent incarner la douceur d’Antananarivo. Chaque octobre, leur floraison mauve transforme la capitale en carte postale vivante. Mais derrière cette beauté se cache une autre histoire — plus sombre, plus politique — celle d’une nature instrumentalisée pour réécrire la ville et effacer une mémoire royale. « Le jacaranda, c’est un arbre magnifique, mais il raconte aussi la colonisation », résume Hajanirina Rakotomalala, doctorant en histoire à l’Université d’Antananarivo. Ses recherches sur l’urbanisme et l’habitat à Madagascar lèvent le voile sur cette entreprise d’“embellissement” qui, sous des airs d’esthétique, participait à une domination symbolique.

Introduit entre 1937 et 1938 par Edmond François, ingénieur en chef de l’agriculture coloniale, le jacaranda vient d’Amérique du Sud. Il faisait partie de ces « échanges inter-empires » où l’on faisait voyager plantes, semences et espèces pour servir l’idéologie du progrès colonial. À l’inverse du cacao ou du café, testés pour leur rendement, le jacaranda n’avait aucune valeur économique. Son rôle ? Décorer. Embellir la capitale. Faire d’Antananarivo une vitrine moderne, aux accents européens. Les premiers arbres furent plantés autour du lac Anosy et dans les jardins publics, sous la direction du service d’architecture et des jardins. « L’idée était de reproduire un cadre familier pour les colons : des allées fleuries, des cités-jardins, un urbanisme ordonné. Les jacarandas donnaient à la ville un visage “civilisé”, au sens où l’entendait l’administration coloniale », explique Rakotomalala.

Mais derrière l’ornement, une stratégie plus insidieuse s’installait. Les jacarandas furent implantés à la place d’espaces liés à la royauté : Antanimbarinandriana transformé en jardin, Antaninarenina converti en square, Soanierana en caserne militaire, Mahamasina en stade, Anosy en monument aux morts pour la France. Ce réaménagement n’était pas anodin. « C’était une manière de reconfigurer la géographie symbolique de la capitale. On effaçait les repères royaux pour imposer une mémoire nouvelle », précise le chercheur. Le mouvement Mitady ny Very avait tenté d’alerter, cherchant à restaurer les repères culturels malgaches. Mais la machine coloniale était déjà en marche. « L’appropriation de ces lieux visait à effacer l’histoire royale. Quand on touche à la culture, il devient plus facile de dominer les gens, et c’est exactement ce qui s’est produit », déplore Hajanirina Rakotomalala. Aujourd’hui, les jacarandas restent des symboles ambigus. Admirés pour leur beauté, photographiés par les touristes, ils rappellent aussi une époque où la ville fut redessinée pour raconter une autre histoire que la sienne. Et sous chaque arbre mauve, il y a peut-être, encore, un peu de ce passé qui refuse de disparaître.

Mpihary Razafindrabezandrina

Laisser un commentaire
no comment
no comment - Exposition : L’économie a bonne mémoire

Lire

10 octobre 2025

Exposition : L’économie a bonne mémoire

De l’époque des royaumes à l’ère républicaine, Madagascar raconte son parcours économique à travers une exposition inédite. Organisée par FTHM Consult...

Edito
no comment - La fierté en prolongations

Lire le magazine

La fierté en prolongations

Il y a des moments où Madagascar oublie ses 23 régions et vibre à l'unisson. C’était le cas lors de la dernière édition du Championnat d'Afrique des Nations l'a bien montré. Les Barea, match après match et en devenant vice-champions d'Afrique, ont fait que bien des Malgaches se sont découverts fans du ballon-rond. Chaque coin de rue, chaque taxi-be, chaque salon étaient transformé en fans-zone. Chaque passe et chaque drible était commenté comme si l'avenir du pays en dépendait. Et peut-être que c'était le cas. C’est fou le foot ! Rendez-vous à la Coupe du monde ?Mais ces moments de joie et de fierté collectives ne sont pas qu’au stade. Ca serait réducteur de penser ainsi. Le rapatriement du crâne du roi Toera a réveillé un sentiment patriotique forts dans le cœur de millions de Malgaches. L’événement national a fait ressurgir un passé qu'on pensait enfoui dans les livres. Des Sakalava aux habitants des Hauts Plateaux, tous ont exprimé leur fierté. Nous avons des aïeux braves !Et puis, il y a ces jeunes qu'on oublie souvent, mais que No Comment essaie de mettre en avant. Ils brillent même souvent loin des projecteurs. Grâce à leurs exploits – en raflant médailles et coupes dans des tournois continentaux et mondiaux de robotique et intelligences artificielles – Madagascar est davantage connu du monde. On en parle moins, alors que leur succès est aussi intense qu'un but à la dernière minute.Force est de dire que ce qui nous rassemble, ce sont ces vibrations partagées. Ces événements mettent entre parenthèses notre quotidien et font vibrer notre cœur de Malgache. Un but, un crâne de roi, une invention IT... Peu importe, tant que ça prouve qu'ensemble, Madagascar peut faire bouger les choses.

No comment Tv

Interview - Mascha et Vincent Paquot Rasquinet - Octobre 2025 - NC 189

Découvrez 𝐌𝐚𝐬𝐜𝐡𝐚 et 𝐕𝐢𝐧𝐜𝐞𝐧𝐭 𝐏𝐚𝐪𝐮𝐨𝐭 𝐑𝐚𝐬𝐪𝐮𝐢𝐧𝐞𝐭, comédiens, dans le 𝐧𝐨 𝐜𝐨𝐦𝐦𝐞𝐧𝐭® NC 189 - octobre 2025. 
Au mois de septembre, les compagnies belges 𝐓𝐢𝐠𝐮𝐢𝐝𝐚𝐩 et 𝐅𝐓𝐋 𝐉𝐮𝐠𝐠𝐥𝐢𝐧𝐠 étaient de passage à Madagascar. Initialement venus dans la Grande île pour assister au mariage de leurs amis, les deux comédiens ont eu un agenda très chargé. Ils ont présenté – presque chaque jour – la pièce muette « 𝑰𝒅𝒚𝒍𝒍𝒆𝒔 𝒂𝒃𝒓𝒂𝒄𝒂𝒅𝒂𝒃𝒓𝒂𝒏𝒕𝒆𝒔 ».

Focus

Randonnée du CASM

Randonnée du Club des Amateurs de Scooters de Madagascar - CASM - à Behenjy, le 17 octobre.

no comment - Randonnée du CASM

Voir