Houssen Mabobaly « Produire deux tonnes de farine de manioc par jour n’est pas suffisant »
17 avril 2023 // Entreprendre // 4377 vues // Nc : 159

Considéré comme le produit du pauvre, le manioc occupe pourtant la deuxième place après le riz dans l’alimentation malgache. Essentiellement une culture de subsistance, cet « or blanc » est sous-exploité malgré son potentiel. Avec son usine de transformation de manioc, Houssen Mabobaly veut produire une farine bio, équitable et de qualité pour les marchés locaux et internationaux.

La filière manioc, pour quelles raisons ?
A mon retour de France, puisque j’ai travaillé dans le domaine de la finance à Paris pendant quelques années, j’ai décidé de travaillé dans l’agribusiness. Je suis originaire de Tuléar dans le sud de Madagascar et le manioc est très répandu chez nous mais malheureusement, il est considéré comme un produit du pauvre.
Quand on longe la RN9, on remarque de nombreux vendeurs de maniocs séchés. Il est consommé en bouilli, c’est un aliment de base dans les foyers en période de soudure.
En Afrique, notamment en Côte d’Ivoire, au Rwanda, au Nigéria ou encore au Bénin, le manioc est surnommé « l’or blanc. » Je me suis dit que c’était possible d’exploiter cette filière et trouver un moyen de transformer le manioc en un produit de qualité.

D’où l’usine de transformation de farine de manioc…
Cela fait trois ans que je travaille sur le projet. J’ai fait l’état des lieux de la filière auprès des ressources locales, des universitaires, de la Direction Régionale et de la FOFIFA, le Centre National de Recherche Appliquée au Développement Rural, qui malgré le peu de moyens qu’ils ont, n’a pas hésité à m’aider. La seconde étape, c’est un travail de recensement des agriculteurs, leur expliquer notre démarche. Ils ne comprennent pas comment le manioc peut être transformé en farine. Egalement, au départ, ils étaient très réticents car ils pensaient que c’est un énième projet qui n’allait pas aboutir. Jusqu’à maintenant, nous sommes toujours dans une phase pédagogique même si l’usine est déjà fonctionnelle depuis le mois de septembre.

Un partenariat avec une communauté de 200 agriculteurs ?
Oui, nous produisons actuellement deux tonnes de farine de manioc par jour. Nous récoltons le manioc frais appelé Sarigasy cultivé à Tuléar, excellent pour la consommation et la transformation en farine. Pour obtenir ce manioc frais, nos agriculteurs sont situés aux alentours de 100 km de l’usine, notamment dans trois communes, Ankililaoke, Tsianisiha et Tanimeva. Pour le moment, nous n’avons pas encore les moyens de les accompagner dans les étapes de la culture. Nous intervenons au moment de la récolte avec la collaboration d’un technicien agronome. Il faut savoir, que ces agriculteurs-là, n’ont pas assez de moyens pour améliorer leur culture. Il faut les former, les accompagner en matériels et surtout les fournir en boutures saines. Ils utilisent les mêmes boutures depuis des années, ce qui entraîne parfois des maladies.  Nous avons donc créé la coopérative KAM pour les accompagner à améliorer leur rendement, qu’ils soient de vrais partenaires et acteurs du projet. Aussi, nous aurons bientôt une subvention de la Banque Mondiale qui va nous permettre de mieux structurer la filière.

Une farine de manioc qui vise d’abord le marché local…
Tout à fait. Notre but, c’est montrer qu’on est capable de produire une farine locale, sans gluten, de qualité et sain. Pour Tana, principalement, nous voulons faire découvrir notre farine, disponible en format de 5 et 25 kg, à travers les professionnels comme les boulangeries, les pâtisseries, les hôtels de luxe… Nous avons des essais concluants. Aujourd’hui, nous travaillons sur le format de 1 kg pour les particuliers. Malakass n’est pas une simple farine, nous voulons véhiculer notre philosophie, respecter nos terres, nos agriculteurs, raconter une histoire.

Mais il reste un produit « haut de gamme ? »
Aujourd’hui, Malakass ne peut pas inverser la tendance de l’importation. Nos agriculteurs n’ont que des rendements de deux à quatre tonnes à l’hectare malgré le potentiel des terres cultivables. Dernièrement, je suis allé au Rwanda pour voir une usine de transformation de farine de manioc qui fait 120 tonnes par jour et qui distribue sur le marché local. Il commence à stopper l’importation de farines. La raison est simple, leur gouvernement a accompagné leurs agriculteurs pour leur permettre de produire 40 à 50 tonnes à l’hectare, améliorer leur rendement en diversifiant les variétés de manioc pour avoir plus de rendements. Il faut noter également que nous transformons du manioc frais pour donner une farine de haute qualité. Il y a six étapes pour la transformation et surtout suivre un standard international inscrit dans le Codex Alimentarius ou Code Alimentaire.

Justement, se positionner sur le marché international est un défi ?  
En effet, le marché du sans gluten se développe de plus en plus en Europe et aux Etats-Unis. Mais pour pouvoir exporter nos produits, il nous faut des certifications pour accéder au marché du bio même si nos produits le sont déjà vu que nous n’utilisons pas de pesticides. Nous faisons attention à la traçabilité des matières premières, des agriculteurs et des produits finis. En ce moment nous travaillons pour l’obtention des certifications. Heureusement, nous sommes accompagnés par un programme d’accélération comme l’USAID.

D’autres produits dérivés en gestation ?
Nous poursuivons notre travail de valorisation des rendements. Nous pensons également transformer le manioc en d’autres produits dérivés et notre farine en produits finis comme des cookies, des gâteaux… La grande saison du manioc commence en mai-juin et juillet ensuite en septembre-octobre-novembre. C’est  huit à dix mois de culture mais comme les agriculteurs sont en manque de moyens, quand ils ont besoin d’argent, ils récoltent hors saison au bout de quatre ou cinq mois. En ce moment nous pensons donc travailler sur la patate douce qui pousse beaucoup à Tuléar et alterner les cultures.

(Source : Fiche filière – EDBM)

La production annuelle mondiale de manioc est 200 millions de tonnes/an.

La production annuelle totale en Afrique en 2018 est de 169 millions de tonnes. Le Nigéria est le plus grand producteur avec 45 millions de tonnes par an.

A Madagascar, le manioc pousse essentiellement dans les régions Haute Terre centrale, Haute Matsiatra (Fianarantsoa) et Antsimo-Andrefana (Tuléar).

En 2020, Madagascar a produit 2 366 250  tonnes sur une superficie d’environ 350 000 hectares.

Propos recueillis par Aina Zo Raberanto

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Décembre arrive et, comme chaque année, Madagascar se réveille culturellement.
Soudainement, les salles de spectacle se remplissent, les artistes sortent du bois, les concerts s’enchaînent. C’est la saison des festivités de Noël mêlant sacré et profane, et des expositions de dernière minute. Bref, tout le monde s’active comme si l’année culturelle se jouait en un seul mois. Et franchement, il y a de quoi se poser des questions. On ne va pas se mentir : les artistes malgaches ne sont pas là uniquement pour nous divertir entre deux repas de fête. Ils bossent, ils créent, et à leur niveau, ils font tourner l’économie. Le secteur culturel et créatif représentait environ dix pour cent du PIB national et ferait vivre plus de deux millions de personnes. Pas mal pour un domaine qu’on considère encore trop souvent comme un simple passe-temps sympathique, non ?
Alors oui, ce bouillonnement de décembre fait plaisir. On apprécie ces moments où la création explose, où les talents se révèlent, où la culture devient enfin visible. Mais justement, pourquoi faut-il attendre décembre pour que cela se produise ? Pourquoi cette concentration frénétique sur quelques semaines, alors que les artistes travaillent toute l’année ? Des mouvements sont actuellement en gestation pour revendiquer leur statut d’acteurs économiques essentiels et pour que l’on accorde à nos créateurs une place réelle dans la machine économique du pays. La culture malgache vaut bien mieux qu’un feu d’artifice annuel. Elle mérite qu’on lui accorde l’attention qu’elle réclame douze mois sur douze.

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