Jean Philippe Palasi « L’algoculture peut apporter des solutions aux communautés côtières »
14 août 2023 // Entreprendre // 3746 vues // Nc : 163

L’algoculture est une alternative à la surpêche, et présente également des avantages économiques et environnementaux. Bien que cette activité soit encore récente au niveau mondial et surtout développée en  Asie, Madagascar possède une certaine expérience et une carte à jouer dans cette filière. C’est ce qu’explique Jean-Philippe Palasi, co-fondateur et Directeur de l’ONG malagasy INDRI ou L’Initiative pour le Développement, la Restauration écologique et l’Innovation. Si elle est bien gérée, la culture de l’algue permet d’apporter des solutions durables à des populations fragilisées par la dégradation des ressources marines.

L’algoculture à Madagascar : comment se porte cette filière ?
Dans le monde de l’algue, Madagascar reste un acteur de petite taille. Par exemple, le pays représente 0,5% de la production mondiale de Kappaphyccus - une algue rouge riche en carraghénanes - archi-dominée par l’Indonésie et les Philippines. Mais il faut rappeler que l’algoculture est une activité qui commence seulement à prendre son essor au niveau mondial. Madagascar a une belle carte à jouer avec ses grandes zones côtières. Toutefois, les eaux marines de Madagascar, si elles sont riches en biodiversité, présentent une productivité relativement limitée. Pour préserver cette productivité, il faut avant tout préserver les équilibres des écosystèmes et habitats sensibles tels que les récifs coralliens, les mangroves ou les herbiers marins. Le pays est également soumis à des contraintes climatiques (tempêtes, cyclones) qu’il faut gérer.

L’avenir de la filière repose donc sur la capacité des opérateurs et de leurs partenaires à mettre en œuvre les bonnes pratiques visant à protéger l’outil de production : la nature.

Quels types d’algues sont produits sur l’Île ?
En milieu naturel, l’algoculture est concentrée sur les algues rouges, des genres Kappaphyccus et Eucheuma, qui sont sources de carraghénanes (additifs alimentaires gélifiants). Bien sûr, il y a également une production de spiruline, mais qui n’est pas vraiment une algue, c’est une cyanobactérie, et qui n’est pas cultivée en mer, mais plutôt dans des bassins à terre. Pour l’algoculture, les régions les plus favorables sont surtout à l’ouest dans l’Atsimo-Andrefana et le Menabe, dans le nord-ouest à Nosy Be, et dans le nord-est, de Diégo à Sainte-Marie. Le marché principal est celui des texturants (carraghénanes) utilisés surtout en agro-alimentaire, et en cosmétique et hygiène personnelle. Mais d’autres valorisations sont à l’étude dans les domaines des  bio-plastiques ou des bio-stimulants.

L’algoculture, constitue-t-elle une activité génératrice de revenus importante pour les populations locales ?
Cela dépend. Dans l’ouest, les populations côtières sont traditionnellement vouées à la pêche et les algoculteurs avec qui nous travaillons, ne s’y consacrent souvent qu’à temps partiel, gardant une partie de leurs temps pour pêcher. Toutefois, nous voyons que certains semblent considérer les revenus de l’algoculture comme plus « sûrs » et stables, et s’y dédient totalement. Au total, entre 3 000 et 4 000 familles vivent de l’algoculture produisant dans les 3 000 tonnes d’algues sèches. Un fermier impliqué à 100 % peut espérer gagner jusqu’à 2 millions d’ariary par mois. L’important est que tout le monde respecte les bonnes pratiques et ne mette pas en danger l’exploitation des autres fermiers en laissant par exemple se développer des maladies. C’est pour cela qu’il est important que la filière soit bien structurée, et que les fermiers soient soutenus et encadrés par des sociétés spécialisées dans l’algoculture avec une approche éthique et sérieuse. Cela permet également de contrôler les potentiels impacts négatifs sur l’environnement et de ne pas aller vers des modèles en surexploitation de milieux fragiles.

Pour les populations locales, notamment pour les femmes, quels sont les avantages de cette filière ?D’abord, c’est une activité relativement simple qui demande peu de connaissances de base. Ensuite, si elle est adossée à une société aquacole qui fournit la totalité du matériel, l’activité ne demande aucun capital pour se lancer. Enfin, certaines techniques de culture permettent une accessibilité des fermes à pied à marée basse, ce qui permet par exemple aux femmes de la pratiquer sans besoin de disposer d’une pirogue. Par ailleurs, cette filière est intéressante pour la bonne gestion et la bonne santé des lagons, ce qui bénéficie à l’ensemble de la communauté.

Cette activité est donc avantageuse pour l’écosystème ?
Oui. Contrairement à la pêche qui repose sur l’extraction de biomasse, l’algoculture génère de la biomasse, ce qui contribue à la bonne santé de tout l’écosystème. La présence de l’algoculture contribue à nourrir les poissons herbivores et à préserver des zones de sédiments et d’herbiers marins. De plus, l’installation des fermes demande des efforts de planification et de concertation avec les communautés et l’ensemble des utilisateurs de l’espace. Quand ce travail est fait avec sérieux, c’est un bon outil de conservation et de co-gestion spatiale de l’espace maritime côtier.

Justement, quelles sont les mesures mises en place pour sensibiliser les pêcheurs à une culture durable de l’algue ?
Certains des principaux opérateurs à Madagascar affichent des objectifs clairs en matière de durabilité. On peut citer par exemple, Ocean Farmers ou Nosy Boraha Seaweed qui sont engagés dans le programme de certification « The Red Seaweed Promise ». Ils ont lancé des programmes de formation destinés aux fermiers sur toute une série de thématiques, allant des bases de la biologie des algues aux bonnes pratiques environnementales en passant par les techniques de culture, de récolte, de séchage, la gestion des maladies… Des plans d’aménagement et de gestion concertés sont également mis en place entre les communautés, les entreprises aquacoles, la société civile, les ONGs et l’administration. Des efforts sont également mis en œuvre pour aider les groupements de fermiers à se constituer et à prendre en main certains services aujourd’hui apportés par les sociétés, mais cela prend du temps, surtout dans les zones isolées.

Quelles sont les missions d’INDRI pour le développement de cette filière ?
INDRI est un centre d’expertise, d’intelligence collective et de plaidoyer. INDRI a décidé de soutenir la filière algoculture, car c’est une activité qui peut avoir un impact positif à Madagascar. Nous savons que 500 000 personnes à Madagascar dépendent directement des ressources marines pour vivre, et que ces ressources s’amenuisent. Si elle est bien menée, l’algoculture peut apporter des revenus aux communautés locales, tout en contribuant à la bonne santé écologique des lagons. C’est un secteur économique assez porteur au niveau mondial, et nous voulons vraiment aider les acteurs malgaches à faire de cette filière un succès au niveau national.  Récemment, INDRI a lancé un processus collectif avec les acteurs clés de cette filière pour favoriser son développement vertueux sur les côtes de la Grande Île.

« Dans l’algoculture, Madagascar a une belle carte à jouer avec ses grandes zones côtières. »

« Si elle est bien menée, l’algoculture peut apporter des revenus aux communautés locales, tout en contribuant à la bonne santé écologique des lagons. »

La production mondiale de macro-algues s’élève à près de 25 millions de tonnes en 2013 (FAO, 2014) : 96 % de ce tonnage provient de la culture d’algues dans les pays d’Asie de l’Est et du Sud-Est, et le reste provient d’Amérique du Sud, d’Afrique, d’Europe puis d’Océanie. 
Selon l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, les algues représentent 51% des produits de l’aquaculture mondiale en milieu marin, devant les mollusques (37 %) et les poissons (9 %).
La production d’algues en Europe en 2013 était seulement de 320 000 tonnes. Or, la quasi-totalité du tonnage européen est produit à partir de la cueillette d’algues sauvages (près de 87 %) et provient majoritairement de la Norvège, de la France et du Danemark. 
Il est estimé que l’ensemble des végétaux aquatiques de la planète produit entre 70 et 80 % de l’oxygène de l’atmosphère. Ce qui représenterait environ 330 milliards de tonnes d’oxygène par année. Donc sans les plantes aquatiques, dont les macro-algues, la vie sur Terre ne serait pas possible, ce qui fait des algues un élément indispensable à la vie telle qu’on la connaît.
Source : https://seabiosis.com/lalgoculture-une-culture-ecoresponsable/

Propos recueillis par Aina Zo Raberanto
Contact Jean-Philippe Palasi : +261 34 48 984 85

Laisser un commentaire
no comment
no comment - Exposition : L’économie a bonne mémoire

Lire

10 octobre 2025

Exposition : L’économie a bonne mémoire

De l’époque des royaumes à l’ère républicaine, Madagascar raconte son parcours économique à travers une exposition inédite. Organisée par FTHM Consult...

Edito
no comment - La fierté en prolongations

Lire le magazine

La fierté en prolongations

Il y a des moments où Madagascar oublie ses 23 régions et vibre à l'unisson. C’était le cas lors de la dernière édition du Championnat d'Afrique des Nations l'a bien montré. Les Barea, match après match et en devenant vice-champions d'Afrique, ont fait que bien des Malgaches se sont découverts fans du ballon-rond. Chaque coin de rue, chaque taxi-be, chaque salon étaient transformé en fans-zone. Chaque passe et chaque drible était commenté comme si l'avenir du pays en dépendait. Et peut-être que c'était le cas. C’est fou le foot ! Rendez-vous à la Coupe du monde ?Mais ces moments de joie et de fierté collectives ne sont pas qu’au stade. Ca serait réducteur de penser ainsi. Le rapatriement du crâne du roi Toera a réveillé un sentiment patriotique forts dans le cœur de millions de Malgaches. L’événement national a fait ressurgir un passé qu'on pensait enfoui dans les livres. Des Sakalava aux habitants des Hauts Plateaux, tous ont exprimé leur fierté. Nous avons des aïeux braves !Et puis, il y a ces jeunes qu'on oublie souvent, mais que No Comment essaie de mettre en avant. Ils brillent même souvent loin des projecteurs. Grâce à leurs exploits – en raflant médailles et coupes dans des tournois continentaux et mondiaux de robotique et intelligences artificielles – Madagascar est davantage connu du monde. On en parle moins, alors que leur succès est aussi intense qu'un but à la dernière minute.Force est de dire que ce qui nous rassemble, ce sont ces vibrations partagées. Ces événements mettent entre parenthèses notre quotidien et font vibrer notre cœur de Malgache. Un but, un crâne de roi, une invention IT... Peu importe, tant que ça prouve qu'ensemble, Madagascar peut faire bouger les choses.

No comment Tv

Making of shooting mode – OCTOBRE 2025 – NC 189

Retrouvez le making of shooting mode du 𝗻𝗼 𝗰𝗼𝗺𝗺𝗲𝗻𝘁® magazine, édition octobre 2025 - NC 189. 
Prise de vue : Golden Cheerz 
Collaborations : Tanossi  – Via Milano mg  – HAYA Madagascar  - Akomba Garment MG - Carambole 
Make up : Réalisé par Samchia
Modèles : Rantoniaina, Wendy, Christelle, Manoa, Rina, Mitia, Santien, Mampionona
Photos : Andriamparany Ranaivozanany

Focus

MOOR1NG

MOOR1NG au Palais des Sports Mahamasina

no comment - MOOR1NG

Voir