Hélio Volana : « Réanoblir les fantômes de l'archive coloniale »
1 septembre 2025 // Grande Interview // 1989 vues // Nc : 188

Dans les archives coloniales françaises dorment des milliers de photos. Des visages anonymisés, des corps figés dans le regard du colonisateur. Hélio Volana les réveille. L'artiste interdisciplinaire transforme le lambahoany en autel contemporain pour rendre leur dignité aux oublié.e.s de l'Histoire.

Comment travaillez-vous avec le lambahoany ?
Je travaille actuellement sur des pièces textiles qui s’inspirent du lambahoany, un tissu emblématique de Madagascar, présent partout sur l’île et aujourd’hui industrialisé. Ce tissu obéit à une grammaire assez systématique : une frise qui l’entoure, un paysage souvent pittoresque, et un message qui accompagne la vie de tous les jours. Mon projet se réapproprie ce format pour déployer des œuvres contemporaines tout en réaffirmant l’ancrage spirituel de ce tissu, omniprésent dans les rituels de fomba-fomba.

J’utilise le tissu comme un support de mémoire afin d’invoquer des récits, des subjectivités et des mémoires constitutives de Madagascar qui, pour beaucoup, tendent à tomber dans l’oubli. Il y a aussi une part de rêve et de spéculation : ce n’est pas qu’un travail historique, j’entretiens toute une recherche presque onirique autour.

Comment cette recherche onirique se conjugue-t-elle avec l’approche historique ?
J’ai beaucoup travaillé avec des archives consultées aux ANOM (Archives nationales d’Outre-mer) à Aix-en-Provence. Il y est conservé un énorme fond de photographies prises pendant la période coloniale française à Madagascar. Mon geste consiste à passer par le tissu pour en faire un support de mémoire sensible. Dans le contexte colonial, le procédé photographique est violent : les administrateurs et militaires mettaient en scène une réalité où ils se positionnaient comme conquérants, vainqueurs, tout en rendant anonymes les Malgaches photographiés.

Il est donc important pour moi d’utiliser ces photos en y intégrant des éléments traditionnellement associés au sacré : la couleur rouge, la présence de coquillages utilisés dans les rituels traditionnels. Je crée ainsi une forme d’autel où ces personnes cessent d’être assujetties et sont honorées, puissantes. En parallèle, je mène un travail pour retrouver leurs noms, un travail autour du langage aussi, car la domination s’est beaucoup matérialisée par les mots.

L’onirisme, pour apporter quelle lecture ?
Les transformations visuelles servent à reconfigurer ce regard. Par exemple, plusieurs images sont traitées en négatif, produisant un aspect presque spectral, une notion qui m’intéresse énormément. Les cheveux, deviennent blancs, les contours des corps deviennent flous.. Cette mise en négatif n’a pas le même rôle d’une œuvre à l’autre. Les lamba rouges visent à sacraliser des figures rendues subalternes dans les archives.

Les lamba bleus, eux, ont une autre fonction : montrer des situations de déroute là où les colons se mettaient en scène comme des conquérants. Il existe des images où on les voit posant très fièrement au rova d’Ambohimanga, le palais du roi Andrianampoinimerina, une mise en scène de la domination dans un lieu sacré, presque un « remplacement de roi ». D’autres les montre en train de parader en filanjana, un moyen de transport à connotation royale, porté par des Malgaches. On voit aussi une grande cour où un chef menalamba pose sa soumission.

Ces images sont assez insupportables ; elles ont été prises pour raconter la réalité que le pouvoir colonial voulait documenter à ce moment-là. Beaucoup d’autres choses n’apparaissent pas dans ces photos. Ce qui m’intéresse avec l’onirisme, c’est de faire affleurer ces résistances invisibilisées, par la broderie, le collage et la superposition.

Vous qualifiez aussi les mahery fo de « masina ». Pourquoi ?
Il y a une œuvre qui présente un homme qui s’est battu à l’est contre la répression. Cette image provient d'une carte postale coloniale. Sa légende désigne cet homme comme comme prisonnier et “fahavalo”, un ennemi, un terme à connotation péjorative largement utilisé à l'époque pour catégoriser la résistance.

En malgache, mahery fo signifie « héros ». D’où le choix de mettre l’image en rouge et de marquer le titre « masina ny mahery fo » : les héros sont sacrés. Mon travail imagine comment, à partir d’une même image et par le langage, on peut rendre hommage et changer de perspectives. C’est l’esprit du projet. Aujourd’hui, les mahery fo ne sont plus dans cette position, mais le tabou persiste pour d’autres figures de liberté comme les sarimbavy. Avec ces lambahoany contemporains, il s’agit aussi d'honorer tout.es ces ancêtres.

Justement, comment vous réappropriez-vous la subjectivation coloniale concernant les sarimbavy ?
Dans un cadre colonial, les légendes des photos qualifiaient les sarimbavy de « travestis », c'est le cas d'une série de photographies présentes dans le fond Gallieni et présentes aux ANOM. Cela révèle le décalage du regard occidental de l’époque sur les questions de corps et de genre. Les Occidentaux tendaient alors à pathologiser tous les rapports au corps qui n’étaient pas hétéronormatifs. Pourtant, dans les traditions malgaches, les sarimbavy occupaient un statut particulier : être entre deux genres témoignait d’un pouvoir de connexion avec les esprits, notamment par les rituels de possession, le tromba.

Où en êtes-vous par rapport au geste créatif ?
Je profite d'une résidence au Centre de Ressources des Arts Actuels de Madagascar, CRAAM, du 1er au 12 septembre, pour peaufiner la production de ces œuvres. Chaque étape de travail est animée par une attention à la préciosité : imprimer les pièces par sublimation, y faire rayonner le rouge — couleur sacrée —, consacrer du temps à la broderie grâce au travail exceptionnel de Hary Rasamison, et à la couture, dans l’atelier de Lobu Lobu. J’expérimente aussi des jeux de superpositions entre lambahoany existants et soies cousues à l’envers. Je cherche quelque chose de subtil : par les effets de transparence, ces nouveaux lambas se fondent à leurs doublures en tissus traditionnels. Il s’agit pour moi de montrer la complexité du réel : tout n’est pas forcément visible, certaines choses échappent au regard. Je joue avec ces couches pour rendre cette profondeur tangible. Ne parlons pas de réparation, mais cette attention méticuleuse est une manière de donner du soin, d’honorer des existences et des luttes. Je conçois chacune de ces pièces comme faisant partie d’un tout, à l’image d’un Doany, un sanctuaire dédié à des mémoires sensibles.

Propos recueillis par Mpihary Razafindrabezandrina

Instagram : @heliovolana

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