Elsa Rakoto : Artiste panafricaine
4 mai 2023 // Arts Plastiques // 4193 vues // Nc : 160

Artiste peintre, photographe, Elsa Rakoto, celle qui réalise la couverture de ce mois de mai, est également militante associative au sein du collectif afro féministe Sawtche à Lyon (France). Ses œuvres s’inscrivent dans une démarche sociale abordant les thèmes comme l’africanisme, l’émancipation des femmes ou encore la sororité.

Vos débuts dans la peinture ?
Au niveau de ma pratique artistique, je suis passée un peu par tous les arts, de la musique hip-hop à la photographie, de la photographie au graphisme. Mais la peinture a toujours été en retrait jusqu’à très récemment, bien que cela a été ma pratique privilégiée lors de mes années lycée, un peu comme un premier amour. En fait, j’ai toujours admiré la grande peinture historique. C’est pourquoi j’ai préféré dans un premier temps étudier l’Histoire de l’Art. Ce n’est pas facile de se projeter soi-même dans une pratique qu’on a étudiée et dans laquelle on ne s’est jamais vue représentée dans la grande histoire de l’Art. Heureusement, les choses changent grâce à Internet qui permet de faire ses propres recherches, d’accéder à une histoire de l’art alternative. Celle que l’on n’enseigne pas dans les cours magistraux, mais celle qui nous parle réellement en tant que personnes issues des diasporas africaines et en tant que femmes artistes.

Hip-Hop, photographie, peinture…
Partout où je suis passée, j’ai privilégié les pratiques collectives et je peux dire que c’est le mouvement du hip-hop qui m’a formé en tant qu’artiste ayant une voix et un message également en tant que photographe. C’est un milieu très masculin où il faut savoir affirmer sa présence et assumer sa voix d’artiste. Il s’agit également de prendre sa place en tant que femme parce qu’évidemment, c’est la première chose qu’on voit. J’ai toujours accordé beaucoup d'importance aux archives et la photographie me permettait de fixer à jamais des moments précieux pour moi et que je ne voulais pas oublier. J’ai très peur d’oublier, je suis anxieuse à l’idée que le temps efface tout si on ne prend pas garde à laisser une trace indélébile. Dans ce sens, la peinture est un médium éminemment puissant. C’est quelque chose qui sort de moi, une vision, un message, et que je pourrais léguer à mes enfants et au monde. La peinture est rapidement devenue une évidence quand j’ai repris cette pratique en 2020, et depuis je ne l’ai plus lâchée. 

Dans vos oeuvres, vous abordez les thèmes de l’africanisme…
J’aborde des sujets qui font partie de mon quotidien en tant que militante associative au sein du collectif afro féministe Sawtche, dont le nom rend hommage à la tristement célèbre Vénus Hottentote.  Celle-ci a été une femme déportée en occident, dont la dignité fut piétinée par le système raciste et colonialiste, et dont le corps a été déshumanisé jusqu’après sa mort, exposé au Musée de l’Homme à Paris. En prenant cette histoire comme exemple parmi tant d’autres, il s’agit pour moi de me confronter à cette colonialité à l’origine de la modernité dont nous avons tous hérité. En tant qu’artiste, il me faut créer des contre-récits pour expliquer que  nous subissons tous à différentes échelles, dans la diaspora comme sur l’ensemble du continent africain dont Madagascar fait partie, cette colonialité toujours à l’œuvre. Il faut reprendre en main nos imaginaires et ne jamais cesser de les enrichir nous-mêmes.

Blue Tears
Huile sur toile de lin, 92 x 73 cm, 2021
Ancestry in progress
Huile sur toile de lin, 119 x 89 cm, 2023

Mais également de l’émancipation de la femme ?
Il y a des valeurs qui valent la peine d'être défendues et pour moi, les droits des femmes et des enfants le sont pleinement. Si je parle de panafricanisme, c’est aussi pour valoriser les liens entre les diasporas et les sociétés africaines, car ce lien constitue une force sur laquelle nous pouvons compter pour aller vers des sociétés où la solidarité serait le maître-mot. La catégorie des femmes, quant à elle, représente la base sur laquelle le bien-être des populations repose. Pour moi, la condition des femmes et des enfants doit être au centre de nos priorités en matière de droits humains, et c’est ce qui m’inspire dans ma peinture quand je peins des visages empreints d’une grande dignité et de paix.

Des tableaux également empreints de symboles ?
J’ai un style qui mêle la peinture portraitiste à des formes abstraites et symboliques. Je pars souvent d’une ou de plusieurs photographies de référence pour composer mes portraits à l’huile, et je commence par poser les dorures à la feuille d’or pour composer mes formes abstraites avant d’entamer le portrait en lui-même. J’aime le résultat des contrastes entre le fond noir et l’or des dorures, l’or amenant une dimension sacrée assez forte dans mes tableaux. Les formes abstraites évoquent beaucoup les flux d’énergies et la question du lien invisible, spirituel, culturel, linguistique, sororal, ancestral et afro diasporique.

Divine Wata
Huile sur toile de lin, 65 x 54 cm, 2023
La Faiseuse de Vie
Huile sur toile de lin, 119 x 89 cm, 2022

Madagascar influence-t-il vos œuvres ?
Oui, on retrouve beaucoup d’éléments de Madagascar dans plusieurs de mes tableaux. La question des ancêtres avec les Aloalo, des éléments de la biodiversité malgache comme le Ravinala et les baobabs, les zébus, les fossiles… C’est un imaginaire visuel cher à mon cœur que je ne peux m’empêcher de parsemer. De façon générale, le thème du lien diasporique est très présent dans toute ma peinture, et j’aime beaucoup ajouter des éléments visuels inspirés de la culture malgache là où on ne les attend pas. Dans ma dernière série sur le thème de la résistance, je me suis inspirée de coiffures malgaches vues sur des photographies d’archives coloniales pour composer des portraits sculpturaux qui rappellent beaucoup la statuaire malgache.

« Poésie entre ciel et terre », une œuvre pour cultiver la paix ?
C’est l’œuvre en couverture du magazine. Il dépeint une femme installée sur une branche d’arbre qui lit un poème. En s’approchant au plus près, le spectateur peut même le lire. Il s’agit d’un extrait de la traduction française du poème A woman speaks de la poétesse afro-américaine Audre Lorde. Dans le tableau, la jeune femme ainsi absorbée par sa lecture cultive sa propre paix et cela se ressent dans son environnement. Elle est entourée d’une nature irradiante, luxuriante, lumineuse qui semble hors du temps, avec les zébus, la végétation, le Ravinala (arbre du voyageur), le caméléon et le soleil tout puissant. Pour moi, ce tableau est une promesse qu’on se fait à soi-même, en tant que femme, de toujours se garder un temps pour soi, un espace mental comme un jardin secret à chérir toute sa vie et dans lequel on se sent en paix avec soi-même. Le tableau contient également des symboles issus de la philosophie des peuples akan en Afrique de l’Ouest. On appelle ces symboles des « adinkra », et chacun apporte des valeurs dans lesquelles tout un chacun peut se reconnaître et s’investir, comme la sagesse, l’émancipation, l’unité et la créativité.

Black Love
Huile sur toile de lin, 92 x 73 cm, 2021
Sororité
Huile sur toile de lin, 92 X 73 cm, 2021

Propos recueillis par Aina Zo Raberanto

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Décembre arrive et, comme chaque année, Madagascar se réveille culturellement.
Soudainement, les salles de spectacle se remplissent, les artistes sortent du bois, les concerts s’enchaînent. C’est la saison des festivités de Noël mêlant sacré et profane, et des expositions de dernière minute. Bref, tout le monde s’active comme si l’année culturelle se jouait en un seul mois. Et franchement, il y a de quoi se poser des questions. On ne va pas se mentir : les artistes malgaches ne sont pas là uniquement pour nous divertir entre deux repas de fête. Ils bossent, ils créent, et à leur niveau, ils font tourner l’économie. Le secteur culturel et créatif représentait environ dix pour cent du PIB national et ferait vivre plus de deux millions de personnes. Pas mal pour un domaine qu’on considère encore trop souvent comme un simple passe-temps sympathique, non ?
Alors oui, ce bouillonnement de décembre fait plaisir. On apprécie ces moments où la création explose, où les talents se révèlent, où la culture devient enfin visible. Mais justement, pourquoi faut-il attendre décembre pour que cela se produise ? Pourquoi cette concentration frénétique sur quelques semaines, alors que les artistes travaillent toute l’année ? Des mouvements sont actuellement en gestation pour revendiquer leur statut d’acteurs économiques essentiels et pour que l’on accorde à nos créateurs une place réelle dans la machine économique du pays. La culture malgache vaut bien mieux qu’un feu d’artifice annuel. Elle mérite qu’on lui accorde l’attention qu’elle réclame douze mois sur douze.

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