Beko (suite) : Sanglots lyriques
13 décembre 2025 // Musique // 66 vues // Nc : 191

Il existe, dans le Sud aride de Madagascar, un art vocal qui ne cherche ni l’applaudissement ni la scène. Un chant pour les moments où la vie vacille, où les mots ordinaires ne suffisent plus. Le beko, chez les Antandroy, est un chant funéraire — mais surtout un geste de consolation. Car au-delà du deuil, c’est bien la paix des vivants qu’il cherche à retisser. Et, curieusement, cette tradition ancienne rejoint par sa force poétique l’esthétique surréaliste : elle dit l’invisible, elle convoque l’âme, elle brouille les frontières entre monde des hommes et monde des ancêtres.

©photo : Montané et Isabelle

Chanté a cappella, souvent par deux ou trois sairy, le beko a quelque chose de résolument singulier : ces chanteurs qui se pincent les oreilles comme pour mieux écouter leurs propres vibrations, ces voix aiguës qui s’entrelacent en un équilibre fragile — tension et détente se répondant comme l’a si finement noté Jessica Roda. Le premier chante, le second suit, le troisième décore. Une architecture vocale, presque une transe.

Mais au-delà de la technique, le beko est porté par des mots. Et quels mots. Des mots surgis d’une émotion brute mais encadrée par des vers traditionnels, une langue symbolique, métaphorique, où l’âme humaine se donne à entendre dans toute sa vulnérabilité. Le surréalisme occidental parlait d’écriture automatique, de jaillissement du subconscient ; le beko, lui, laisse la douleur parler dans un souffle venu du ventre. Et pourtant, on y retrouve cette même manière de dire la réalité… en la dépassant.

Car le beko ne décrit pas le monde : il l’interprète. Il l’étire. Il l’ouvre. Voici un extrait, parmi les plus connus, qui montre cette tension entre désolation et quête — un texte à la fois oxymore, parallélisme et anaphore :

Transcription du beko
Hoooooooooooooo Homahomahoma e !
Ehe eeeeeeeeeee !
Izaho toy e, mipay longo raho e (Moi, je cherche de la famille)
E zaho toy mipây nama raho (Moi, je cherche un ami)
Izaho toy e, mipay longo raho e (Moi, je cherche de la famille)
E zaho toy mipay nama raho (Moi, je cherche un ami)
Akanga nimotso ragnetse raho e, (Je suis devenu comme une pintade cherchant ses amis perdus)
Sarake Valantioke (En me séparant avec Valantioke)

Plus loin, la parole prend une tournure presque onirique :

Transcription
Ho rova ty Menarandra e (Menarandra sera une grande ville)
Ho rova malain-java (Mais une ville qui déteste la lumière)
Terake volagney ty boaka antignanagney (La lune se lève à l’est)

Ici, rien n’est explicite. Tout est image. Tout est évocation. Le beko n’est donc pas qu’un chant pour accompagner le razana. C’est un pont : entre la douleur et son apaisement, entre réel et invisible, entre le poids du chagrin et la légèreté métaphorique de ces paroles qui, par leur beauté, parviennent à consoler. Un art funéraire, oui. Mais aussi une poésie qui, à sa manière, défie la mort.

Anthropo’Zik, par Dr Hejesoa Voriraza Séraphin alias Manara
Enseignant et chercheur en Philosophie, Sociologie, Anthropologie,
poésie et musique traditionnelle

Laisser un commentaire
no comment
no comment - Cinéma : Madagascar entre dans l'histoire

Lire

9 décembre 2025

Cinéma : Madagascar entre dans l'histoire

Disco Afrika, réalisé par Luck Razanajaona, devient le premier film malgache soumis aux 98ᵉ Oscars dans la catégorie Meilleur film international, aprè...

Edito
no comment - Shows devant !

Lire le magazine

Shows devant !

Décembre arrive et, comme chaque année, Madagascar se réveille culturellement.
Soudainement, les salles de spectacle se remplissent, les artistes sortent du bois, les concerts s’enchaînent. C’est la saison des festivités de Noël mêlant sacré et profane, et des expositions de dernière minute. Bref, tout le monde s’active comme si l’année culturelle se jouait en un seul mois. Et franchement, il y a de quoi se poser des questions. On ne va pas se mentir : les artistes malgaches ne sont pas là uniquement pour nous divertir entre deux repas de fête. Ils bossent, ils créent, et à leur niveau, ils font tourner l’économie. Le secteur culturel et créatif représentait environ dix pour cent du PIB national et ferait vivre plus de deux millions de personnes. Pas mal pour un domaine qu’on considère encore trop souvent comme un simple passe-temps sympathique, non ?
Alors oui, ce bouillonnement de décembre fait plaisir. On apprécie ces moments où la création explose, où les talents se révèlent, où la culture devient enfin visible. Mais justement, pourquoi faut-il attendre décembre pour que cela se produise ? Pourquoi cette concentration frénétique sur quelques semaines, alors que les artistes travaillent toute l’année ? Des mouvements sont actuellement en gestation pour revendiquer leur statut d’acteurs économiques essentiels et pour que l’on accorde à nos créateurs une place réelle dans la machine économique du pays. La culture malgache vaut bien mieux qu’un feu d’artifice annuel. Elle mérite qu’on lui accorde l’attention qu’elle réclame douze mois sur douze.

No comment Tv

Making of shooting mode – Novembre 2025 – NC 190

Retrouvez le making of shooting mode du 𝗻𝗼 𝗰𝗼𝗺𝗺𝗲𝗻𝘁® magazine, édition novembre 2025 - NC 190
Prise de vue : no comment® studio 
Collaborations : Tanossi – Via Milano mg – HAYA Madagascar - Akomba Garment MG 
Make up : Réalisé par Samchia 
Modèles : Lana, Judicaël, Catuchia, Faravavy, Tojo, Mitia, Santien, Mampionona 
Photos : Andriamparany Ranaivozanany

Focus

November Numérique

November Numérique à l'IFM

no comment - November Numérique

Voir