AME SŒUR (suite)
19 janvier 2025 // Mistery // 4304 vues // Nc : 180

4 - Arrivé à Farafangana, les habitants m’ont vite indiqué où se trouvait sa famille. C’était une famille aisée, bien établie socialement et connue de tous. Une fois arrivé à l’endroit indiqué, je suis resté à distance pour ne pas être repéré. Après un moment d’attente, le portail s’est ouvert, et j’ai vu Hasiniala sortir, accompagnée de ses parents et d’un jeune homme. J’osais espérer que ce dernier n'était qu'un membre de leur famille mais j’avais tort. Ils s’absentèrent un long moment et, à leur retour, Hasiniala et ce jeune homme restèrent dehors, échangeant des regards et des gestes tendres. Un sentiment de malaise monta en moi, mais c’est lorsque je vis le jeune homme prendre délicatement le menton d’Hasiniala et l’embrasser que mon cœur se brisa.

Mon cœur s’est arrêté l’espace d’un instant, vacillant sous le poids d’une émotion incontrôlable. Complètement déboussolé, je n’ai pas eu le courage de m’approcher. Hasiniala, quant à elle, s’est éloignée sans un mot, tandis que l’homme reprenait son chemin de son côté. Je me suis mis à le suivre à distance, perdu dans un labyrinthe de pensées, tentant en vain de donner un sens à ce chaos, tout en me remémorant notre passé. Distrait par mes propres tourments, je l’ai perdue de vue. La nuit s’annonçait déjà. Errant au hasard dans les rues, j’ai fini par m’asseoir sous un abri de fortune, éreinté.
Dans le froid et le silence, l’évidence m’a frappé : j’avais agi sans réfléchir, et il était trop tard pour revenir en arrière. Tout ce qui me restait, c’était l’acceptation. À l’aube, transi et vidé de forces, j’ai pris une décision : retourner à Antananarivo. Une chose me paraissait désormais indiscutable : Hasiniala et moi étions des étoiles filantes destinées à emprunter des trajectoires séparées. Elle avait quelqu’un d’autre dans sa vie.

Alors que je me dirigeais lentement vers la gare routière, une lourdeur inexplicable pesait sur mon cœur. Chaque pas me semblait une bataille. À un moment, une voix a brisé le silence. Je l’aurais reconnue entre mille. C’était elle. Pourtant, j’ai refusé de me retourner. Elle a insisté, appelant plus fort, mais ma fierté blessée me clouait sur place. Finalement, elle m’a rattrapé, agrippé le bras, et m’a enlacé en éclatant en sanglots.

Quand ses pleurs se sont apaisés, elle m’a murmuré :

— Que fais-tu ici ?

Je n’ai pas répondu. Doucement, je l’ai écartée et me suis remis à marcher, sourd à ses appels. Mais elle n’en avait pas fini avec moi. Une chaussure lancée avec une précision désarmante m’a atteint, m’obligeant à m’arrêter. Je me suis retourné, déstabilisé, prêt à affronter ses reproches.

Alors, dans un souffle empli de douleur, elle a tout avoué. Ce mariage, cet homme : elle n’en voulait pas. Sa famille l’y contraignait, arguant qu’il représentait un choix plus raisonnable.

— Mais pourquoi l’as-tu embrassé, alors ? ai-je répliqué, le cœur brisé.

— Il m’a forcée ! Je te l’ai dit ! a-t-elle crié, exaspérée.

Un mélange de tristesse et de colère m’animait encore, mais ses mots m’ont calmé. Apprendre qu’elle subissait autant que moi a fait naître une idée folle dans mon esprit : fuir ensemble. Lorsqu’elle a accepté, sans hésiter, mon cœur s’est réchauffé pour la première fois depuis des jours.

Avec nos maigres économies, nous avons acheté deux tickets pour un avenir incertain. Nous étions jeunes, inconscients des défis qui nous attendaient, mais pleins d’espoir. Alors que le bus nous emportait loin de la ville, le chauffeur, qui semblait connaître les parents d’Hasiniala, nous observait avec insistance, tentant de nous tirer des informations. Nous restions évasifs, le poids de notre fugue pesant sur nos épaules.

Nous avons choisi de nous installer à Manakara, espérant échapper à nos familles. Mais nos ressources ont fondu en deux jours. Nous vivions chichement, partageant nos repas et dormant dans une maison en ruines. Rapidement, nos parents ont lancé des recherches : les siens à Farafangana, les miens ailleurs. Le chauffeur a fini par trahir notre secret, avertissant la famille d’Hasiniala.

Ils nous ont retrouvés. Dès qu’ils m’ont aperçu, ils se sont jetés sur moi, me frappant sans retenue. Hasiniala, paralysée, pleurait en silence. Puis mes propres parents sont arrivés, appelés à la rescousse. Mon père, furieux, m’a toisé avec un mélange de déception et de colère.

— Vous nous devez obéissance ! rugit le père d’Hasiniala. Nous avons tout sacrifié pour vous. Comment osez-vous nous bafouer ainsi ?

Mon père ajouta :

— L’amour ? Vous n’en connaissez rien. Ce n’est qu’une illusion. L’honneur de la famille doit passer avant ces enfantillages.

Ces mots résonnaient comme un glas. Je nous voyais, Hasiniala et moi, prisonniers d’une cage invisible, nos rêves brisés avant même d’avoir pris leur envol.

— Alors je refuse ! ai-je lancé, la voix tremblante mais résolue.

Un silence glacé a suivi. Tous me fixaient, sidérés. Mon père finit par briser l’instant :

— Trop tard.

Abattu, je n’ai pas insisté. Hasiniala, bouleversée, s’est levée et a quitté la pièce en pleurant. Cette fois, je l’ai suivie. Ensemble, sans un mot, nous avons fui à nouveau.

À l’abri de la forêt, loin de tout, elle m’a posé une question étrange, presque irréelle :

— Crois-tu qu’une vie existe au-delà de ce que l’on voit ? Si nous mourions, penses-tu qu’on pourrait encore s’aimer, loin de ces problèmes ?

Ses yeux, noyés de larmes, cherchaient une vérité que je ne connaissais pas. Pourtant, je savais une chose : vivre sans elle m’était impossible

— Oui, ai-je murmuré. Où que nous soyons, nous serons ensemble.

Ces mots, dits avec ferveur, ont scellé notre pacte. Ils ont défini tout ce qui allait suivre.

…à suivre

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Il fut un temps — pas si lointain — où le cinéma malgache était timide, réduit à quelques projections confidentielles et à des moyens de fortune. Depuis un certain temps – ironie du sort ou simple justice poétique – ce sont nos films qui s’invitent sur les écrans du monde et des festivals sur les cinq continents. Felana Rajaonarivelo, Kuro Mi qui ont été récemment primés dans des festivals internationaux. Avec cette nouvelle génération de cinéaste, Madagascar rafle les prix et, surtout, les regards.
Il fut une époque où parler de « cinéma malgache » provoquait un sourire poli, celui qu’on réserve aux rêves un peu fous. D’autres se moquaient ouvertement de ces productions de niveau abécédaire. Désormais, ces points de vue moqueurs s’effacent pour laisser place à l’admiration. Les images sont plus nettes, les scénarios plus affûtés, les voix plus assurées. On sent cette montée en gamme, cette fierté tranquille d’un art qui prend enfin confiance en lui. Et c’est beau à voir — comme une pellicule qu’on aurait enfin sortie du grenier pour la projeter au grand jour.
Certes, des défis restent à relever, notamment en matière d’infrastructures, de financements, de formation… mais le vent tourne. Et ce vent-là sent la créativité, la sueur, et un peu de ce grain de folie propre à nos conteurs. La Grande-île ne veut plus être simple figurant dans l’histoire du septième art. Madagascar s’installe, doucement mais sûrement, dans le rôle principal. Au fond, ce renouveau n’est pas qu’un phénomène culturel. C’est une déclaration : ici aussi, on sait raconter. Et mieux encore, le faire rêver.

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Photos : Andriamparany Ranaivozanany

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