Les critiques d'Elie Ramanankavana : Vol à vif, quand le phénomène dahalo devient une belle histoire
13 août 2023 // Littérature // 5069 vues // Nc : 163

A cent à l'heure, Johary Ravalason nous livre dans son troisième roman intitulé Vol à vif une belle histoire faite de tout ce qui constitue la Grande Île et sa culture. Si l'ouvrage est paru en 2016, elle demeure l'une des œuvres les plus populaires de la littérature malgache en langue française et mérite ainsi que l'on y revienne. Avec ses 190 pages, l’œuvre a été couronnée du prix du livre insulaire l'année de sa parution ainsi que du prix Ivoire en 2017.

Une belle histoire...
Cette histoire commence par une incantation aussi vieille que le peuple de ces terres. Une prière, tant et tant répétée, pour réveiller par le verbe, la magie des graines et découvrir dans leurs schémas les mystères du destin:

« Fouha ! Fouha !

Debout ! Debout !

Réveillez-vous les graines sacrées que je vous interroge. » (P.7)

C'est ainsi que par un rituel s'ouvre le bal d'un récit qui file comme le projectile d'un fusil à travers les lignes d'un ouvrage qui se dévore facilement.

Sans tarder,  Johary Ravaloson nous jette dans une course poursuite effrénée. Comme si nous étions pris dans un tourbillon. Autour de nous, un vertige de mots et d'impressions diffuses. Sur notre chemin de perdition fusent, comme des indications liminaires, des noms comme Tibaar, notre personnage principal, Papang ou encore Razilna. On réalise bien vite que l'on est dans une course poursuite de dahalo, ces voleurs de zébus du sud de l'Île Rouge, et notre personnage principal est du côté des criminels. Pourtant, notre héros est loin d'être un vulgaire voleur de bœufs. S'il est du côté des « malfaiteurs » c'est par amour seulement, la coutume voulant que pour demander la main d'une jeune fille l'on offre des zébus aux parents.

Mais alors que les choses tournent mal et que les dahalo sont coincés, les compagnons de Tibaar meurent pour le laisser sauf. Il s'échappe et arrive par chance à sauver en chemin trois zébus.
Il revient dès lors triomphant, la victoire à bout de bras, pour chercher sa promise, la dénommée Sana.

C'est alors que tout se complique, car cette dernière est en vérité sa sœur, lui l'enfant alakaosy, porteur d'un destin néfaste, écarté dès le plus jeune âge de sa tribu d'origine par les manigances d'un père craignant pour son pouvoir. Sa mère s'étant remariée au mage Dzaovelo, elle a donné naissance à Sana alors que Tibaar a grandi ailleurs. Dès lors, entre le héros et son élue, l'amour est tabou. Le récit se dénoue par la suite dans un à peu près flou qui tranche avec la simplicité générale de l’œuvre entière. On apprend que la prophétie initiale délivrée par le sikidy s'est réalisée sans que l'on ne sache précisément de quelle manière :

« Je ne distingue plus le taureau qui s'en va boire à l'onde pure. Il est seul, il est parfois accompagné. Le chemin qui mène l'eau à la mer est long et tortueux. Dzaolahy Minon-drano Mahatokana me semble toujours dangereux. » (P.189)

Une fin qui laisse en suspens des affaires telles que la succession du fils et du père en tant que maître des talismans, l'enjeu caché du récit étant le pouvoir. Que devient le père qui a éloigné l'enfant ? Mystère.

Une œuvre qui a le mérite de faire découvrir des facettes cachées de la culture malgache.
Si le récit se termine sans s'achever, il nous livre une réalité malgache peu commune, loin des clichés réducteurs plaçant le bien et le mal dans des cases figées. Ici, en effet, le phénomène dahalo ne se donne pas à juger, mais à comprendre. Le voleur de zébu cesse d'être un simple criminel pour devenir humain. Son rapt, cesse d'être un acte vil, pour s'ériger en pratique sociale fruit d'une tradition séculaire liée en outre à la sacralité de l'animal totem de tout un peuple : le zébu. Ainsi le phénomène dahalo s'enrichit d'une compréhension nouvelle. Il n'est plus cette insécurité frayeur des citadins mais la fracture entre deux manières de concevoir le monde, le choc entre deux modes de vie.

« Lev lui apprit que les notables de la source avaient amassé leur cheptel en les volant.» (P.101)

Le vol de zébu redevient de cette manière ce qu'elle est : une pratique sociale comme une autre, liée à la valeur symbolique du bovidé pour les Malgaches. Un vol qui sert non pas à s'enrichir, mais à prouver le « courage et la ruse », la vertu faisant du grand propriétaire de zébu un homme respectable plein de noblesse, bien loin du « malass » ou « malaso », un simple malfaiteur sans foi ni loi.

Aussi, l'un des principaux moteurs du récit est le « fanandrona » ou l'astrologie malgache qui se décline en un véritable calendrier lunaire organisant tous les aspects de la vie. Si Tibaar est rejeté par sa tribu, c'est sous prétexte qu'il est né sous le signe de l'Alakaosy. Alakaosy qui est le neuvième mois du calendrier lunaire malgache et qui correspond à un destin néfaste, réputé nuire à la communauté.

Dans le récit, on découvre également le bilo, un rite de possession que l'on retrouve dans toute l'île avec d'autres appellations comme le tromba chez les sakalava du nord. Témoin vivace de la croyance du Malgache en l'immortalité et en la puissance des ancêtres, il s'agit d'une cérémonie rituelle que beaucoup pratique encore aujourd'hui, de manière institutionnelle pour certains, comme lors du « fanompoambe » dans la ville de Majunga au Nord de l'île.

En tout et pour tout, Vol à vif parvient à faire vivre ces aspects peu connus de la culture malgache tranchant avec l'exotisme exsangue des cartes postales. Une culture socle solide sur lequel se fonde l'identité de tout un peuple. Le roman donne à comprendre ces facettes constitutives de la malgachéité qui sont souvent entachées de préjugés négatifs si elles ne sont pas ignorées.

Un livre léger et sans fioriture
Vol à vif est léger à souhait. Ses phrases généralement courtes n'usent pas de tournures savantes. Ce qui maintient jusqu'au bout un rythme soutenu capable de tenir en haleine n'importe quel lecteur. Dépouillé de toute prétention à des parures inutiles, l’œuvre a cependant cette couleur particulière des romans d'hier. Son intrigue repose sur quelques classiques comme l'amour, le destin ou la soif du pouvoir. Ainsi, elle rappelle Charlotte-Arrisoa Rafenomanjato et son roman Le pétale écarlate, dont le personnage principal, Felana est également une Alakaosy.

On comprend dès lors que le livre a tout pour plaire au plus grand nombre. Sa manière de synthétiser tout le Malgache en un ouvrage relativement peu épais, son sujet éloigné des sentiers battus, sa prose fluide, font tout son charme. Vol à vif  est pour toutes ces qualités un ouvrage à avoir pour les mordus de littérature malgache. D'ailleurs, il constitue sans nul doute une porte d'entrée par excellence à l'univers littéraire malgache en ce qu’il ne présente pas de trop grandes difficultés pour le néophyte et lui permet d'aborder déjà les thèmes de prédilection des lettres écarlates.

Vol à vif, quand le phénomène dahalo devient une belle histoire.
Vol à vif de Johary Ravaloson, Editions Dodo Vole, 192 pages, 2016

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Décembre arrive et, comme chaque année, Madagascar se réveille culturellement.
Soudainement, les salles de spectacle se remplissent, les artistes sortent du bois, les concerts s’enchaînent. C’est la saison des festivités de Noël mêlant sacré et profane, et des expositions de dernière minute. Bref, tout le monde s’active comme si l’année culturelle se jouait en un seul mois. Et franchement, il y a de quoi se poser des questions. On ne va pas se mentir : les artistes malgaches ne sont pas là uniquement pour nous divertir entre deux repas de fête. Ils bossent, ils créent, et à leur niveau, ils font tourner l’économie. Le secteur culturel et créatif représentait environ dix pour cent du PIB national et ferait vivre plus de deux millions de personnes. Pas mal pour un domaine qu’on considère encore trop souvent comme un simple passe-temps sympathique, non ?
Alors oui, ce bouillonnement de décembre fait plaisir. On apprécie ces moments où la création explose, où les talents se révèlent, où la culture devient enfin visible. Mais justement, pourquoi faut-il attendre décembre pour que cela se produise ? Pourquoi cette concentration frénétique sur quelques semaines, alors que les artistes travaillent toute l’année ? Des mouvements sont actuellement en gestation pour revendiquer leur statut d’acteurs économiques essentiels et pour que l’on accorde à nos créateurs une place réelle dans la machine économique du pays. La culture malgache vaut bien mieux qu’un feu d’artifice annuel. Elle mérite qu’on lui accorde l’attention qu’elle réclame douze mois sur douze.

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