Langue de feu (afon-dolo)
27 novembre 2025 // Mistery // 36 vues // Nc : 190

J’avais dix ans quand mon père fut affecté à Mahajanga. Toute la famille déménagea avec lui. Mon père conduisait la voiture, ma mère assise à l’avant, et nous cinq, leurs enfants, serrés à l’arrière : les deux grands aînés frère et soeur, les deux petits, frère et soeur, et moi entre eux.

Mon père ne se séparait jamais de son bâton d’Ambiaty ni de son Mpanjakabe’ny tany, symbole de puissance et de protection, lorsqu’il devait voyager loin.
Sur la route, tout se passa bien jusqu’à ce que la voiture s’immobilise brusquement au sommet de Manerinerina. Impossible de savoir ce qui s’était passé. Mon père descendit pour tenter une réparation, mais la nuit approchait et la voiture refusait de redémarrer. Résignés, nous dûmes nous arrêter là.
Le vent soufflait fort, glacial. Ma mère, prévoyante, avait préparé le repas et des couvertures chaudes. Nous avons mangé à la hâte, puis elle nous fit enfiler nos vêtements les plus épais avant de dire d’une voix ferme :
— Personne ne sortira de la voiture après le coucher du soleil.
La nuit tomba. La seule lumière venait d’une lampe de poche dont la lueur vacillait faiblement. Il fallait économiser les piles : la nuit ne faisait que commencer.

Mes deux petits frères s’endormirent aussitôt après avoir mangé. Mes parents et nous trois, les aînés, restions éveillés, mal à l’aise, coincés à l’arrière.
Vers dix heures du soir, soudain, au loin, apparurent des lumières étranges.
Des langues de feu, nombreuses, alignées, semblant flotter dans les airs, s’approchaient lentement de notre voiture.
Intrigués, nous avons demandé :
— Papa, qu’est-ce que c’est ?
Il répondit aussitôt, d’une voix grave :
— Ne dites rien. Ne bougez pas. Fermez les yeux.
Mais moi, trop curieux, je fis semblant d’obéir. J’entrebâillai les paupières pour regarder.
Les flammes passèrent près de la voiture. Un souffle glacial, mordant, nous frappa la peau. Mes petits frères, endormis, se mirent à pleurer dans leur sommeil. Mes parents restaient immobiles, silencieux, sans tenter de les calmer.
J’étais le seul à avoir osé regarder. Et ce que je vis me glaça le sang.
Autour de la voiture, des silhouettes sombres, indistinctes, nombreuses, semblaient nous encercler. Des formes d’ombre, ni tout à fait humaines, ni totalement invisibles.
Pris de panique, je refermai les yeux. Le noir m’envahit et je perdis connaissance.
Quand j’ouvris les yeux, il faisait jour.
Toute la famille s’éveillait en même temps, comme après un long rêve. Mon père ralluma le moteur — il démarra immédiatement. Nous avons repris la route, silencieux, mais mon esprit restait ailleurs.
Mon père, soulagé, remercia notre obéissance.
— Vous avez bien fait de fermer les yeux, dit-il. Grâce à cela, ils ne nous ont pas touchés.
Je n’osai pas avouer que j’avais regardé.
Nous arrivons sains et saufs à destination. Épuisés, mais reconnaissants. Le soir venu, nous avons prié ensemble et remercié Dieu pour sa protection.
Cette nuit-là, mes deux frère et soeur aînés et moi partagions la même chambre. Les petits dormaient avec mes parents. Ma mère entra pour éteindre la lampe, vérifia que tout allait bien, puis referma la porte. L’obscurité fut totale.
Je n’arrivais pas à dormir. Un froid étrange me parcourait, comme si mon corps était recouvert de glace, tandis que mon frère à côté dormait profondément, sans couverture.
Je restais les yeux ouverts, incertain si je rêvais ou non… et soudain, je le vis.
L’être. Le même que la veille. Il se tenait là, debout, au pied de mon lit. Je tremblais, incapable de crier, puis parvins à secouer mon frère.
— Tu le vois, toi ?!
— De quoi tu parles ? grommela-t-il sans ouvrir les yeux. Laisse-nous dormir, on est épuisés.
Mais la silhouette avançait. Je tremblais de plus belle et criais de plus en plus fort. Mes parents accoururent, alertés.
— Qu’y a-t-il ?! demanda mon père.
Alors, entre sanglots et frissons, je racontai tout : ma désobéissance, les ombres autour de la voiture, et cette apparition dans la chambre. Mon père pâlit. Ma mère alluma aussitôt du caoutchouc et des mèches de cheveux, laissant la fumée se répandre pour chasser le mal. La lampe resta allumée jusqu’à l’aube. Aucun de nous ne dormit.
Au petit matin, mon père sortit.
Il revint quelques heures plus tard, accompagné d’un vieil homme aux traits graves.
— Voici mon fils, dit-il en me désignant.
Le vieillard s’approcha, posa une main sur ma tête et prononça des paroles que je ne comprenais pas. Il prit ensuite une feuille d’arbre et en effleura tout mon corps. Cela ne faisait pas mal, seulement des chatouilles étranges.
Puis il sortit de son sac un drap blanc et une natte, qu’il étala au milieu de la pièce.
Et là — nous étions figés — un énorme serpent sortit de sous notre lit, se glissant jusqu’au drap. Le vieil homme prit la natte où le serpent s’était posé et la fit passer sept fois au-dessus de ma tête. Je fus si effrayé que j’en perdis tout contrôle.
Il murmura encore des incantations, puis enferma la bête dans un sac et sortit.
Mon père le suivit dehors. Nous étions tétanisés.
À midi, mon père revint, tenant de l’eau et des feuilles qu’il répandit et brûla dans toute la maison. Depuis ce jour, je n’ai plus jamais osé désobéir à la parole d’un ancien.
Le vieil homme laissa le serpent dans notre cour.
— Il vous protègera, dit-il.
Au début, nous avions peur. Puis, peu à peu, nous nous y sommes habitués. Le serpent resta trois ans avec nous puis un jour, il disparut. Entre-temps, mon père fut muté à Mahajamba, là encore, nous avons été témoins de phénomènes que nul esprit rationnel ne pourrait expliquer.
Mon message est que quand un ancien te parle, écoute-le. Tu ne connais pas les mystères de la terre, ni les esprits qui la gardent. Depuis ce jour, je n’ai plus jamais revu cette chose. Elle ne nous a plus jamais troublés.

#MKN

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Il fut un temps — pas si lointain — où le cinéma malgache était timide, réduit à quelques projections confidentielles et à des moyens de fortune. Depuis un certain temps – ironie du sort ou simple justice poétique – ce sont nos films qui s’invitent sur les écrans du monde et des festivals sur les cinq continents. Felana Rajaonarivelo, Kuro Mi qui ont été récemment primés dans des festivals internationaux. Avec cette nouvelle génération de cinéaste, Madagascar rafle les prix et, surtout, les regards.
Il fut une époque où parler de « cinéma malgache » provoquait un sourire poli, celui qu’on réserve aux rêves un peu fous. D’autres se moquaient ouvertement de ces productions de niveau abécédaire. Désormais, ces points de vue moqueurs s’effacent pour laisser place à l’admiration. Les images sont plus nettes, les scénarios plus affûtés, les voix plus assurées. On sent cette montée en gamme, cette fierté tranquille d’un art qui prend enfin confiance en lui. Et c’est beau à voir — comme une pellicule qu’on aurait enfin sortie du grenier pour la projeter au grand jour.
Certes, des défis restent à relever, notamment en matière d’infrastructures, de financements, de formation… mais le vent tourne. Et ce vent-là sent la créativité, la sueur, et un peu de ce grain de folie propre à nos conteurs. La Grande-île ne veut plus être simple figurant dans l’histoire du septième art. Madagascar s’installe, doucement mais sûrement, dans le rôle principal. Au fond, ce renouveau n’est pas qu’un phénomène culturel. C’est une déclaration : ici aussi, on sait raconter. Et mieux encore, le faire rêver.

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Photos : Andriamparany Ranaivozanany

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