Lèpre : Ce que la peau raconte
3 août 2025 // Photographie // 3203 vues // Nc : 187

Madagascar figure parmi les 23 pays les plus touchés par la lèpre dans le monde. En 2022, le pays a enregistré 1 450 nouveaux cas, dont une proportion inquiétante d’enfants et de patient·es déjà atteint·es. Dans près de la moitié des régions, la maladie reste en situation d’hyperendémie. De plus, la proportion de nouveaux cas présentant une invalidité de grade 2 reste élevée (17,13 % en 2021), traduisant un retard diagnostique et thérapeutique pouvant entraîner des handicaps et des déformations affichantes et à vie. Au-delà des chiffres, ce sont des vies marquées par les handicaps, l’exclusion et la stigmatisation.

Pour porter un regard neuf sur cette réalité souvent ignorée, la dermatologue Dr Mendrika Fifaliana Rakotoarisaona initie un projet de Photovoice, une méthode participative donnant la parole et l’image à celles et ceux qui vivent avec les séquelles de la lèpre. À travers les photos, les participant·es raconteront leur quotidien, leurs douleurs, leurs espoirs.
L’initiative vise à documenter le poids du handicap et de la stigmatisation, mais surtout à créer un espace d’expression, de reconnaissance et de changement.

Une exposition ou une présentation communautaire sera mise en place pour valoriser les récits et les images. Cette rencontre impliquera les membres de la communauté, les décideurs, les professionnels de santé et les médias, afin d’encourager le dialogue et la mobilisation collective autour de la lutte contre la stigmatisation liée à la lèpre.

*Pour préserver l’anonymat des personnes photographiées, leurs noms ne figurent pas dans ce reportage.

Texte : Dr Mendrika Fifaliana Rakotoarisaona
Légendes : Aina Zo Raberanto
Photos : Henitsoa RAFALIA & Samia

« J’ai 26 ans, je suis mariée et maman de deux enfants : un garçon de 6 ans et une fille de 11 ans. Avant, j’étais une jeune femme pleine de vie… et plutôt jolie.

Tout a basculé vers mes 20 ans. On était partis à Moramanga, et là-bas, mon corps s’est couvert de plaques qui me démangeaient énormément. J’ai consulté un médecin, qui m’a prescrit de la prednisolone. Sur le moment, ça m’a soulagée. Mais une fois de retour à Tana, j’ai arrêté le traitement… et les symptômes sont revenus, encore plus douloureux. Des cloques sont apparues, et quand elles éclataient, j’avais comme une sensation de brûlure.

Je suis allée au service dermatologie de l’hôpital de Befelatanana. Le médecin m’a de nouveau prescrit de la prednisolone, que je prends encore aujourd’hui. Mais les crises reviennent souvent, surtout au niveau des yeux : ils gonflent, et parfois je ne vois plus rien. Cela arrive quand je suis à court de médicaments. J’ai aussi de fortes douleurs à l’estomac, je vomis régulièrement. Tous les mois, je retourne chez le médecin pour un contrôle. Ces derniers temps, de nouvelles cloques sont apparues.

Dans mon entourage, personne ne sait ce que je vis. Je n’en parle pas. Malheureusement, je n’arrive pas à trouver de travail même avant d’être malade. Et aujourd’hui, c’est encore plus difficile. Alors je reste à la maison. Je cuisine pour les enfants quand ils rentrent de l’école, je discute un peu avec les voisins. Je garde tout pour moi, mais ce n’est pas facile. »

« J’ai 30 ans. Je suis marié et père d’un garçon de 11 ans. Tout a commencé en 2019, avec des plaques rouges sur ma peau. Au début, on ne s’est pas inquiétés. Mais les symptômes ont empiré, et mon corps est devenu insensible à certains endroits.

C’est après qu’on a découvert une tache blanche sur mon fils que le diagnostic est tombé : la lèpre. En voyant les photos chez le médecin, ma femme a reconnu les mêmes marques sur mon corps. On m’a mis sous traitement pendant un an. Mais la maladie est revenue. Cette fois, on m’a parlé d’un régime strict, sans sel, ce que je ne savais pas avant.

Nous avons quitté Marovoay pour venir à Tana suivre les soins. Nos proches nous hébergent, mais financièrement, c’est très difficile. Je ne peux plus travailler. Je suis jeune, mais je me fatigue vite. C’est décourageant. Heureusement, ma famille comprend. Les voisins ne savent pas vraiment de quoi je souffre, alors je n’ai pas ressenti de rejet.

Ce que je souhaite aujourd’hui, c’est retrouver ma santé, reprendre une vie normale et pouvoir m’occuper à nouveau de ma famille. »

« J’ai 43 ans, je suis lavandière et je vis à Andohatapenaka avec mes deux enfants. Je travaille uniquement le matin, car je me fatigue très vite. Tout a commencé en 2018 : j’ai eu des cloques un peu partout sur le corps, et mes enfants, encore petits à l’époque, ont commencé à en avoir aussi. Inquiets, nous sommes allés à l’hôpital pour faire des prélèvements. Mais nous n’avons jamais eu de retour, personne ne nous a contactés.

Nous avons alors décidé de nous rendre à l’ex-Institut d’Hygiène à Analakely. Là, nous avons suivi un traitement pendant presque six ans, sans savoir précisément ce que nous avions. En 2024, les cloques sont revenues, surtout sur mes jambes. Je souffrais énormément. Nous sommes allés à l’hôpital de Befelatanana, où les médecins ont retrouvé notre ancien dossier. C’est là qu’on nous a enfin dit que nous étions atteints de la lèpre.

Aujourd’hui, nous avons commencé un traitement adapté, et tout se passe bien. Je suis soulagée, mais je regrette qu’on ait perdu autant de temps avant de savoir. La maladie aurait pu être soignée bien plus tôt. »

Dr Fenohasina Georges Cheny, interne de l’internat qualifiant en Dermatologie-vénérologie, service de Dermatologie, CHU Joseph Raseta Befelatanana

« Au sein du service dermatologie du CHU Joseph Raseta de Befelatanana, nous recevons des patient·es orienté·es par leur médecin, mais aussi des personnes qui viennent spontanément en consultation, pour des problèmes de peau, de cheveux, d’ongles ou encore de muqueuses buccales, génitales ou anales. Lorsque c’est nécessaire, nous effectuons des prélèvements cutanés afin d’analyser les lésions.

Par exemple, aujourd’hui, nous avons reçu une petite fille de 10 ans pour un prélèvement. Nous suspectons une maladie de Hansen plus communément appelée lèpre. Les échantillons sont envoyés au laboratoire du Centre d’Infectiologie Charles Mérieux (CICM), avec qui nous collaborons dans le cadre d’un projet de recherche sur la lèpre. Une fois les résultats transmis par le laboratoire, nous informons les patient·es et assurons la prise en charge médicale : traitements, soins, suivi.

À Madagascar, la lèpre reste une maladie très répandue. Chaque semaine, nous voyons plusieurs cas, en particulier les lundis et jeudis, lorsque les consultations sont gratuites. Le traitement est long et peut avoir des conséquences importantes, aussi bien physiques que psychologiques ou financières. La prise en charge devient alors complexe.

Un autre défi auquel nous faisons face est la disponibilité limitée des médicaments dans le pays. Nous devons parfois adapter les prescriptions aux seuls traitements disponibles, mais il arrive qu’ils soient contre-indiqués selon l’état du patient. Dans ces cas, nous sommes contraints de changer de traitement, mais les alternatives ne sont pas toujours couvertes par le projet. Il arrive donc que les patients doivent acheter eux-mêmes les médicaments nécessaires.

À l’heure actuelle, il est difficile de parler d’éradication de la lèpre à Madagascar. La maladie est encore bien trop présente, dans toutes les régions de l’île. »

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