Émeline Raholiharisoa « Hira gasy à l’UNESCO : un combat de 30 ans »
1 février 2023 // Grande Interview // 4702 vues // Nc : 156 - 157

Inscrire le hira gasy, littéralement « chant malgache », au patrimoine immatériel de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) a été un combat de longue haleine. Émeline Raholiarisoa, fille cadette de Ramilison Besigara et présidente de Renaissance de Madagasikara, nous en retrace les étapes.

Tout ne commence pas en avril 2022, lorsque le ministère de la Communication et de la Culture dépose le dossier de candidature du hira gasy à l’UNESCO…

C’est l’aboutissement de tout un processus a commencé trente ans plus tôt, en 1992, à Isotry, quand les chefs des troupes de hira gasy se sont mis d’accord pour centraliser et coordonner leurs contrats. L'initiative en revient à mon père, Ramilison Besigara, chef de la troupe Ramilison Fenoarivo, et de mon époux, le documentariste Didier Mauro, qui avait consacré sa thèse de doctorat au hira gasy. L’année suivante, Tarika Ramilison Fenoarivo réalisait une tournée en France, organisée par Didier Mauro dans le cadre de la Ligue de l’Enseignement. Et c’est là que Roland Biache, alors responsable des relations internationales de cette organisation, a estimé que le hira gasy méritait d’être inscrit au patrimoine immatériel de l’UNESCO.

Pourquoi cela n’a-t-il pas abouti ?

Il y a eu un remaniement du gouvernement en 1994, et le projet est resté en suspens. En 1998, le président Didier Ratsiraka a pourtant rappelé que cette démarche lui tenait à cœur et a annoncé un autre projet, la construction du Kianjam-Pirenenan’ny Hira Gasy, un espace dédié aux spectacles de hira gasy, projet alors appuyé par Fredo Betsimifira, le ministre de la Culture. À la même époque, mon époux a soutenu sa thèse à l’Université de la Sorbonne, et les membres du jury ont à leur tour souligné l’importance d’inscrire cet art au patrimoine immatériel de l’humanité. Éditée sous le titre Madagascar Opéra du peuple (Kathala), cette thèse est restée l’ouvrage de référence du hira gasy.

Et finalement, tout s’accélère en l’espace de quelques mois ?

En février 2021, nous avions célébré le jubilé de la création de Tarika Ramilison Fenoarivo par Ramilison Besigara. J’avais alors envoyé un dossier complet fau normes de l’UNESCO à la ministre de la Communication et de la Culture, et c’est en avril dernier qu’elle l’a déposé auprès du secrétariat de la Convention de l'UNESCO pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel. Entre-temps, nous avions organisé une campagne de communication et un Comité de parrainage international s’était constitué, rassemblant des personnalités de Madagascar, Seychelles, Maurice, Canada. J’en avais également parlé durant le Colloque international francophone de Biarritz, en novembre 2021. C’est à la même époque que le film documentaire Madagascar l’opéra du peuple que j’ai réalisé est sorti en DVD et VOD chez L’Harmattan TV : il a été sélectionné par le festival international de cinéma Vues d’Afrique et présenté au Canada.

Si la demande est acceptée par l’UNESCO, quelles en seront les répercussions pour le hira gasy ?

Maintenant que l'État malgache a déposé le dossier à l'UNESCO, la démarche ne peut qu’aboutir, la réussite est certaine. Pour les troupes locales, les répercussions seront des possibilités d'échanges internationaux. Il y a plus de cent troupes de hira gasy à travers le pays. Par exemple, Tarika Ramilison Besigara Zanany réunit chaque année plus de 100 000 spectateurs avec une moyenne de 300 représentations par an.

Ce qui nourrit tout juste son homme…

Le hira gasy essentiellement destiné aux paysans n'est pas en soi rentable, d’autant que les aides et subventions de l’État sont quasi nulles. Il représente surtout un revenu complémentaire pour les mpihira gasy, eux-mêmes à l’origine de simples paysans. Les revenus des spectacles sont partagés à parts égales entre les membres de la troupe et chaque artiste peut faire vivre jusqu’à une centaine de personnes. Les troupes réalisent des représentations toute l’année, sur demande, avec un pic l'hiver pendant les famadihana (cérémonies de retournement des morts). Le hira gasy mêlant musiques, chants, danses et discours à la façon d’un opéra est un art sacré. Il n'est pas convenable de procéder à un famadihana sans offrir aux ancêtres et aux enfants des ancêtres un spectacle avec deux troupes de hira gasy en compétition.

 « Il redonne espoir et courage dans une situation à plus d’un titre désespérante »

À quand remonte cette tradition ?

Le genre est né au XVème siècle afin de porter dans les campagnes les messages royaux. Il s’est surtout développé au XVIIIème siècle lorsque le roi Andrianampoinimerina (1745-1810) a commencé à organiser des spectacles pour remercier les travailleurs qui édifiaient alors de grandes rizières à sa demande. Les artistes reçurent le titre de Mpihiran'ny Andriana. Le roi Radama Ier (1793-1828) fit équiper l'armée malgache par l'Angleterre et c’est de là que viennent les redingotes et les instruments typiques du hira gasy (violon, trompette, tambour) inspirés des fanfares militaires. Les robes des femmes sont, elles, inspirées des toilettes que la reine Victoria offrit aux reines de Madagascar. Le hira gasy participera à toutes les luttes anticoloniales et s'investira encore, après l'indépendance, dans la révolution de 1972.

Tarika Ramilison Fenoarivo dans cette tradition ?

C’est sans doute la troupe la plus populaire du pays. Elle a été fondée en 1986 par Ramilison Besigara et ma mère, Edwige Ramanambelo. Au décès de mon père, en 2009, nous, ses descendants, avons refondé la troupe, en la nommant Tarika Ramilison Besigara Zanany. Fidèle à la vocation première du hira gasy, la troupe véhicule des messages de portée sociale dans les campagnes, que ce soit contre l’alcoolisme, la violence domestique, la corruption, ou encore pour l’hygiène ou pour l’environnement. Dans un pays où le système de santé est à ce point lamentable, ces messages de prévention sont souvent les seuls moyens d’éviter des morts.

Comment se porte le hira gasy aujourd’hui ?

Il se porte très bien. Le public est assidu, passionné et fidèle. Les chansons racontent la vie du peuple et parlent son langage, donc les spectateurs se sentent compris. Le hira gasy a un effet de thérapie psychosociale. Il redonne espoir et courage dans une situation à plus d’un titre désespérante, depuis bien des années, pour la majorité de la population.

Propos recueillis par Aina Zo Raberanto

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Décembre arrive et, comme chaque année, Madagascar se réveille culturellement.
Soudainement, les salles de spectacle se remplissent, les artistes sortent du bois, les concerts s’enchaînent. C’est la saison des festivités de Noël mêlant sacré et profane, et des expositions de dernière minute. Bref, tout le monde s’active comme si l’année culturelle se jouait en un seul mois. Et franchement, il y a de quoi se poser des questions. On ne va pas se mentir : les artistes malgaches ne sont pas là uniquement pour nous divertir entre deux repas de fête. Ils bossent, ils créent, et à leur niveau, ils font tourner l’économie. Le secteur culturel et créatif représentait environ dix pour cent du PIB national et ferait vivre plus de deux millions de personnes. Pas mal pour un domaine qu’on considère encore trop souvent comme un simple passe-temps sympathique, non ?
Alors oui, ce bouillonnement de décembre fait plaisir. On apprécie ces moments où la création explose, où les talents se révèlent, où la culture devient enfin visible. Mais justement, pourquoi faut-il attendre décembre pour que cela se produise ? Pourquoi cette concentration frénétique sur quelques semaines, alors que les artistes travaillent toute l’année ? Des mouvements sont actuellement en gestation pour revendiquer leur statut d’acteurs économiques essentiels et pour que l’on accorde à nos créateurs une place réelle dans la machine économique du pays. La culture malgache vaut bien mieux qu’un feu d’artifice annuel. Elle mérite qu’on lui accorde l’attention qu’elle réclame douze mois sur douze.

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Photos : Andriamparany Ranaivozanany

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