Lova Nantenaina « Je voulais capturer les derniers gestes de ces artisans »
3 mai 2021 // Cinéma // 4944 vues // Nc : 136

Sorti en salle à Antananarivo le 19 mars dernier, le documentaire « Île était une fois » de Lova Nantenaina dégage poésie et sensibilité, se penchant sur des métiers traditionnels en voie de disparition à Madagascar et à La Réunion. Le réalisateur revient sur la genèse du projet.

On reconnaît le caractère engagé de vos films notamment dans « Ady Gasy » ou le court-métrage « Zanaka, ainsi parlait Félix », pouvez-vous nous partager la note d’intention de ce dernier long-métrage ?
La note d’intention d’« Île était une fois » était déjà écrite en 2008.
Je venais de sortir de l’école de cinéma et je voulais retourner au pays pour me confronter à la réalité.
Il y a ce que j’avais vécu dans mon enfance et la réalité des gens dix ans après. Sortir du pays nous met dans la position du voyageur, avec un regard neuf, un certain détachement.
La question qui me taraudait est simple : Qu’est-ce qu’on transmet à nos enfants alors même que certaines ressources deviennent rares ? J’avais donc une liste de métier et de ressources que je voulais interroger dans ce voyage, à savoir la forêt, les vers à soie, les poissons, le raphia…
Autre interrogation : quelles sont les difficultés que les parents rencontrent pour transmettre un savoir-faire ou une passion à leurs enfants dans un contexte de pillage de ressources ?

Pourquoi avoir choisi ces métiers en particulier ?
Chaque portrait renvoie à un savoir-faire, un métier. J’ai choisi le chasseur de guêpes à La Réunion parce que les guêpes se raréfient et cela me rappelle qu’à Madagascar, on mange aussi des chrysalides ou des sauterelles. Après, j’ai fait le portrait des sauniers de La Réunion parce que cela rentrait dans le cadre de ma résidence de création avec le musée du sel de Saint-Leu. C’est un savoir-faire en danger à cause de l’importation massive de sel. Dans mon voyage, avec mon carnet, je me retrouve à Toliara avec les sauniers malgaches. Ce qui m’intéressait là-bas c’était de filmer les souffrances du corps face à la dureté de ce travail. Pourtant, le sel de Madagascar est déprécié. Les sauniers disent que leur sel coûte moins cher qu’un tas de tomates. De plus, leur métier est menacé par l’installation d’un grand projet minier qui risque de passer par les bassins de sel. Mon voyage s’arrête vers Arivonimamo, chez les tisserands. Je voulais capturer les derniers gestes de ces artisans qui ont de plus en plus de mal à trouver de la matière première à sa voir les « landy be ».

Lors de vos rencontres avec les familles qui vivent de ces activités et en arrivant sur les lieux d’exploitation, quelles ont été vos impressions ?
Je suis toujours impressionné par le courage de ces gens malgré les difficultés qu’ils rencontrent pour perpétuer leurs activités. Il y a aussi chez eux cet étonnement quand un cinéaste s’intéresse à leur quotidien qui est banal pour eux. Un visage qui m’a marqué est celui de Rasoa, une vieille salariée de 60 ans, qui répare les bassins de sel. Son regard est indescriptible et sa posture digne. Son travail harassant m’a vraiment touché. Elle est connue et respectée par les propriétaires de bassins en tant que spécialiste de la réparation des bassins. Beaucoup de choses m’ont touché dans ce voyage filmé et la plupart sont dans le film. En tout cas, on a essayé avec mes collaborateurs de restituer au mieux mon voyage à travers le carnet.

Pourquoi ce biais du carnet de voyage ?
Il nous a permis de prendre un peu de recul face au réel. Il nous laisse un peu dans l’imaginaire et la réflexion, on en avait besoin pour ce film-là. Le carnet permet aussi de tisser tous ces portraits en un seul film. Souvent, le réel est violent, triste ou magnifique et le carnet permet des petits moments de confidences, de donner des éléments de compréhension au public. Le tournage s’est fait en plusieurs étapes parce que j’avais mes autres films en cours pendant que je tournais celui-là. Mais le voyage a été réalisé avec des intentions claires.

Sur le plan esthétique et technique, qu’est-ce qui différencie ce film des autres de votre filmographie ?
C’est le carnet précisément. La confection du carnet s’est fait à postériori avec des éléments du voyage. J’ai collaboré avec deux portraitistes réunionnaises : Florence Vitry pour les portraits et Griotte pour les paysages et la création du style de police. L’écriture du carnet s’est faite avec ma productrice qui est co-auteure du film aussi, Eva Lova-Bely. Frédérique Brun-Picard a fait l’animation de tous ces éléments disparates et la musique a été apportée par Paul Henri Randrianome et Stéphan Laiwai. La confection de ce carnet était donc un vrai travail d’équipe avec beaucoup de challenges techniques. Mais on est content du résultat final et je remercie tous mes collaborateurs pour cette aventure créative.

Comment « Île était une fois »  a-t-il été reçu ?
Le film a fait sa première nationale au Cinepax à Madagascar en mars. Avant cela, il a fait beaucoup d’entrées en salle à La Réunion. On est contacté maintenant par des festivals internationaux qui ont pour thématique le voyage. On espère aussi que les chaînes de télévision s’intéresseront au film. Tout cela est un travail en cours parce que la situation actuelle est catastrophique pour la culture et le cinéma. On fera tout pour que les projections continuent dès que les salles rouvriront.


Propos recueillis par Annick Sedson
Association des critiques cinématographiques de Madagascar

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Décembre arrive et, comme chaque année, Madagascar se réveille culturellement.
Soudainement, les salles de spectacle se remplissent, les artistes sortent du bois, les concerts s’enchaînent. C’est la saison des festivités de Noël mêlant sacré et profane, et des expositions de dernière minute. Bref, tout le monde s’active comme si l’année culturelle se jouait en un seul mois. Et franchement, il y a de quoi se poser des questions. On ne va pas se mentir : les artistes malgaches ne sont pas là uniquement pour nous divertir entre deux repas de fête. Ils bossent, ils créent, et à leur niveau, ils font tourner l’économie. Le secteur culturel et créatif représentait environ dix pour cent du PIB national et ferait vivre plus de deux millions de personnes. Pas mal pour un domaine qu’on considère encore trop souvent comme un simple passe-temps sympathique, non ?
Alors oui, ce bouillonnement de décembre fait plaisir. On apprécie ces moments où la création explose, où les talents se révèlent, où la culture devient enfin visible. Mais justement, pourquoi faut-il attendre décembre pour que cela se produise ? Pourquoi cette concentration frénétique sur quelques semaines, alors que les artistes travaillent toute l’année ? Des mouvements sont actuellement en gestation pour revendiquer leur statut d’acteurs économiques essentiels et pour que l’on accorde à nos créateurs une place réelle dans la machine économique du pays. La culture malgache vaut bien mieux qu’un feu d’artifice annuel. Elle mérite qu’on lui accorde l’attention qu’elle réclame douze mois sur douze.

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