Vazaha : Le moins cher à la pompe
3 juin 2014 - MétiersNo Comment   //   2470 Views   //   N°: 53

Vazaha est cireur de pompes à Antaninarenina depuis une dizaine d’années. Au premier abord, cela a tout du boulot ingrat : s’agenouiller, lustrer, cracher sur la godasse pour la rendre plus éclatante. Néanmoins un boulot où ce diplômé niveau bac d’une trentaine d’années a trouvé une sorte d’épanouissement. Le pied quoi…

Dans le quartier toujours affairé d’Antaninarenina, tout le monde l’appelle Vazaha. Impossible de savoir pourquoi, car il est tout ce qu’il y a de plus malgache. Son nom de famille, personne ne le connaît depuis tout ce temps qu’il croise dans les parages. Sans doute est-il mal à l’aise avec ce boulot un peu « servile » de cireur de godasses. Bien sûr, il n’y a pas de sots métiers, il n’y a que de sottes gens. Pourtant Vazaha est titulaire du bac, c’est dire qu’il aurait pu viser plus haut. À ceux qui s’en étonnent, il explique sur un ton gouailleur : « Les sages-femmes, elles font combien d’années d’études universitaires ? Tout ça pour finalement avoir le nez dans les parties intimes de leurs clientes…». Pas faux. Plus sérieusement : « J’ai choisi ce boulot en attendant de trouver mieux, même si ça fait déjà dix ans que ça dure, et aussi parce qu’on n’est pas beaucoup à faire ça dans le coin. Je ne dis pas que s’agenouiller pour cirer des godasses est une chose plaisante, mais c’est toujours mieux que d’aller voler ou de fracturer des portes… »

S’il a opté pour ce périmètre du jardin d’Antaninarenina, c’est que c’est l’un des plus passants de la capitale. Des millions de paires de pompes l’arpentent chaque jour dès 7 h 30 minutes, l’ouverture des premiers bureaux. « Beaucoup de mes clients bossent dans les ministères qui sont très nombreux dans le quartier. Ce sont des gens qui doivent être d’une propreté exemplaire mais qui n’ont pas envie de s’embêter à cirer eux-mêmes leurs chaussures. » Pour la modique somme de 500 ariary, Vazaha leur sort le grand jeu : la brosse, la boîte de cirage, la peau de chamois et les petits crachats attentionnés pour que ça brille encore plus. « Cinq minutes après, ce ne sont plus des chaussures qu’ils portent, mais des miroirs », s’amuse-t-il. Vazaha se suffit d’une dizaine de clients dans la matinée. Ce n’est évidemment pas assez pour faire bouillir la marmite quand on a un enfant à charge, mais au moins ça paye les brèdes. Et de toute façon, il a sans doute un autre job ailleurs dont il ne veut pas parler.

De nature volubile, il joue volontiers le Figaro de la godasse, échangeant bons mots et commentaires éclairés sur l’actualité avec ses clients. Et des fois, il y a des surprises : « Je me souviens de ce Français qui voulait acheter des clous de girofle en grande quantité et qui ne savait à qui s’adresser. En deux coups de brosses à reluire, je lui ai dit que je connaissais quelqu’un et que je pouvais lui servir d’intermédiaire. Au final ça m’a rapporté 800 000 ariary… » Son seul souci aujourd’hui est qu’il n’y a plus que du cirage Made in China au marché. Beaucoup moins cher que les produits de marque, mais également de très mauvaise qualité, pire ayant tendance à détériorer le cuir. « Pour compenser je fois frotter trois fois plus et cracher comme un tuberculeux. Voilà un exemple précis où la mondialisation peut faire du mal à un petit travailleur honnête… » Il vous observe du coin de l’oeil et part subitement dans un grand éclat de rire. Sacré Vazaha, il ne l’aura pas volé son pourboire !

Solofo Ranaivo

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