Trafic d’holothuries
2 juillet 2014 - NatureNo Comment   //   4743 Views   //   N°: 54

Encore la filière chinoise

L’arrestation en avril de 112 pêcheurs malgaches, accusés de braconner le concombre de mer au large des îles Éparses, démontre une fois de plus l’ampleur de ce trafic international dont l’épicentre est la Chine. Une véritable catastrophe écologique pour nous, estiment les spécialistes. 

En avril dernier, le coup de filet mené par les militaires français chargés de la protection des îles Éparses (Europa, Bassas da India, Juan de Nova, Glorieuses et Tromelin) a permis de démanteler un vaste réseau de braconnage de l’holothurie ou concombre de mer, cet animal apparenté aux oursins et aux étoiles de mer. Au total, 112 pêcheurs malgaches ont été appréhendés, ce qui donne une idée de l’ampleur de ce phénomène jugé en recrudescence dans le canal de Mozambique. Une tonne d’holothuries, dont la grande majorité était déjà morte, a été saisie et rejetée à l’eau sur instruction du Directeur de la mer sud océan Indien (DMSOI). D’après la communiqué de la préfecture de La Réunion, sur les cinq navires arraisonnés par les forces de l’ordre, « trois navires pratiquaient la pêche de manière artisanale, mais les deux autres, plus imposants, semblaient avoir une vocation quasi-industrielle. » Tout cela confirme l’idée d’un trafic organisé portant sur des tonnes de concombres de mer ramassés chaque semaines. Trafic dont l’épicentre serait l’Asie, la Chine plus précisément où le marché du concombre de mer représenterait la coquette somme de 60 millions de dollars par an !

« La pêche au concombre de mer n’est pas chose nouvelle à Madagascar, cela a toujours été une activité habituelle chez les mpiandriaka (piroguiers). Ce qui est nouveau et qui pose problème, ce sont ces bateaux chinois qui rôdent dans les parages pour acheter directement les holothuries aux pêcheurs », confirme le service de la communication de la Gendarmerie, qui déplore ne pas pouvoir faire plus pour enrayer le phénomène, faute de moyens matériels.

Pour le Dr Rodin Miharimamy , de l’Université d’ Antananarivo , il s’agit tout simplement d’une « catastrophe pour l’écosystème marin » : « Si les holothuries venaient à disparaître, les dégâts seraient incommensurables car ces animaux sont primordiaux pour l’oxygénation de la mer. Se nourrissant par ailleurs de détritus et de sédiments, ils gardent le récif propre. Le mal est déjà fait, leur nombre est en baisse sévère depuis une dizaine d’années, car les concombres ne se multiplient pas aussi vite qu’on les braconne », déplore le scientifique. La perspective est donc sombre, à moins d’imaginer très vite un vaste programme de culture de l’holothurie, via des écloseries, pour renflouer le littoral, et bien sûr plus d’effectifs pour la surveillance des espèces sauvages.

Fumés et séchés sur place, les concombres transitent par Tana par sacs entiers avant de gagner la Chine. Depuis leur achat aux pêcheurs de la côte, pour une bouchée de pain cela va sans dire, ils ne cessent de prendre de la valeur à mesure que les intermédiaires se succèdent. D’après le responsable d’un restaurant chinois à Antsakaviro, ils valent déjà 35 000 ariary le kilo (prix fournisseur), comme les langoustes. Mais ce n’est rien comparé à ce qui va se passer en Chine où le concombre de mer – la « truffe noire des océans » comme on l’appelle – se monnaye vraiment à prix d’or : jusqu’à 830 euros (2,5 millions d’ariary) le kilo pour la qualité supérieure dite susuan. Presque cent fois plus cher qu’à Tana, une marge très intéressante ! Un kilo c’est à peu près 25 concombres de mer déshydratés que l’on consomme là-bas avec délice. Un plat de choix comme les nids d’hirondelles et les ailerons de requin.

De plus, la pharmacopée chinoise leur prête quantité de vertus médicinales, notamment contre l’impuissance et le cancer, expliquant également leur popularité.

Victime de son succès, l’animal est aujourd’hui menacé d’extinction un peu partout où il est surexploité. C’est le cas aux Philippines, l’un des principaux exportateurs, ou au Vanuatu qui a interdit sa pêche, la demande chinoise ne permettant pas le développement durable de l’activité. Conséquence, pour soutenir cette même demande, le braconnage se déploie un peu partout. Jusque dans les îles Éparses. 

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