Tout doux l’amer !
8 août 2016 - Cultures Fanahy gasyNo Comment   //   1943 Views   //   N°: 79

Bien avisés des choses de la vie, les anciens savaient que l’existence n’est qu’une succession de joies et de peines. D’où ce dicton aigre-doux : « Tantely amam-bahona ny fiainana », la vie est faite de miel et d’aloès…

Doux comme le miel, amer comme l’aloès… Jolie métaphore pour décrire la nature même de la vie avec ses dualités tragiques : la naissance et la mort, le jour et la nuit, le bien et le mal… « Süss ist die Liebe, doch bitter der Tod » (doux est l’amour, mais amer la mort) entonne, plus près de nous, le poète allemand Bertolt Brecht dans un état d’esprit similaire. Plus pratiques mais tout aussi artistes, les Chinois en on fait une véritable philosophie culinaire par l’entrecroisement des cinq saveurs (wǔwèi) – aigre, sucré, piquant, amer, salé –, le summum de la délectation se trouvant dans leurs savantes combinaisons (aigre-doux, sucré-salé, etc.)

Qu’est-ce à dire ? Que loin de se neutraliser, les contraires s’attirent, mieux s’exaltent les uns les autres ! Après tout quel goût aurait la vie si la mort n’était pas là pour nous en rappeler toute la fragilité et la valeur unique ? Un long parcours ennuyeux ! Dans un même ordre d’idée, on trouve cet autre dicton :

Ao anatin’ny mangidy no ahitana ny mamy c’est en peinant (amer) qu’on atteint le bonheur (doux). À se demander si le mal n’est pas nécessaire à la conquête du bien…

Alors comme nous invite à le faire les Ntalao (anciens) : goûtons à part égale la douceur du miel et l’amertume de l’aloès, car telle est bien là, en dernière instance, la formule du bonheur. Plus exactement : sachons tirer du miel comme de l’aloès les nourritures qu’il nous faut pour avancer. Contre-point subtil de ce qu’un autre philosophe du bonheur, Épicure, déclarait : « Ne gâchez pas ce que vous avez en désirant ce que vous n’avez pas. »

Le recours à l’image du miel (tantely) pour symboliser le bien-être est évident, car pour les anciens Malgaches il représentait une denrée fort recherchée. La tribu des Tanala passait alors et passe toujours comme la grande spécialiste de la cueillette du miel dans les forêts. Offrir du miel est toujours une marque de respect, de même qu’on continue à enduire de miel les objets considérés comme sacrés. Quant à l’aloès (vahona), si l’amertume de sa pulpe incite à l’assimiler au pôle désagréable de la vie, il n’en est pas moins une plante médicinale de très haute valeur, utilisée depuis toujours par les praticiens traditionnels malgaches, notamment pour soigner les ulcères et les troubles intestinaux. Et comme pour abonder dans le sens de notre dicton, ils le préparent immanquablement… mélangé à du miel ! On dit même que ce mélange ajouté à du citron ou à de l’eau de vie donnerait des résultats thérapeutiques plus qu’intéressants… Avec modération, bien sûr !

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