Sens plastique
1 février 2016 - CulturesNo Comment   //   1414 Views   //   N°: 73

Rijasolo : au sud de soi 

Avec l’exposition « Atsimo », accrochée du 18 janvier au 20 février sur les murs de l’Institut français de Madagascar, le photographe Rijasolo nous convie à une exploration rétrospective de ses incursions dans le Grand Sud malgache, entre 2007 et 2015.

Présentée sous forme de frise non chronologique, cette série de grands formats se donne à lire comme un long négatif : des instantanés à parcourir de gauche à droite, comme un carnet de voyage évidemment documentaire (la plupart de ces images ont été réalisées au cours de reportages) mais surtout subjectif, car il s’agit bien de proposer une vision singulière et inédite d’un sujet – le Sud – souvent réduit à ses aspects les plus terribles, tels que la mort des dahalo ou la famine des enfants.

Qu’il s’agisse de l’aridité des horizons, paysages « dramatiquement beaux » qui semblent dire une île dans la Grande Île, ou de la force frugale des habitants, Rija Solo a souhaité sortir du principe illustratif pour évoquer davantage la poésie de cet ailleurs largement méconnu.

Le photographe nous avait habitués à des ambiances vaporeuses, sombres et souvent floues, mais les lumières crues du Sud l’ont amené à une écriture photographique plus nette et peut-être plus facile à lire, même si le visiteur doit y projeter ses propres interprétations, y tracer son propre chemin. Il revendique pour cette série une ambition de journal intime, avec le souci constant de ne pas chercher à répondre aux attentes : les règles sont là pour être transgressées, et Rijasolo cite Godard, Michaël Ackerman ou Raymond Depardon qui, avec son ouvrage Notes, fut le premier à utiliser des images de reportage pour constituer un carnet et parler de soi à partir de l’état du monde.

Né à Strasbourg, Rijasolo a grandi dans une famille qui mange malgache, auprès de parents qui réprimandent en malgache et à qui les enfants répondent en français. Une façon de grandir ni vraiment malgache, ni vraiment française, avec toujours le pays en tête, comme une promesse.

Après de courtes études de droit, il rêve d’intégrer l’école de BD d’Angoulême, ou de suivre l’école des Arts Déco de Strasbourg. Finalement, la photographie se révèle un moyen rapide et efficace pour « faire de la BD avec le réel ». Après une année d’école de photojournalisme à Paris, il décide de se lancer dans le reportage afin de se confronter au terrain et aux relations humaines, loin des lumières calibrées des studios. Si la technique d’abord argentique, puis rapidement numérique (quasiment obligatoire pour répondre aux dynamiques de la presse) reste importante, l’essentiel est d’acquérir une culture de l’image qui, depuis la peinture jusqu’au cinéma, permettra de situer son propre travail.

Retour au pays en 2011. Madagascar lui apparaît comme le lieu de tous les possibles, un milieu ouvert qui accepte l’individu pour ce qu’il a à dire, où l’on peut se sentir respecté même si l’on n’appartient pas aux réseaux officiels, même si l’on n’affiche pas de pedigree. Alors que le système européen ferme ses portes aux jeunes issus de l’immigration, la Grande Île apparaît comme une terre où tout reste à construire, et où la précarité de la condition d’artiste peut être perçue comme un choix courageux. Aujourd’hui Rijasolo vit exclusivement de la photographie : se sentir utile en pratiquant son art, voilà le vrai luxe.

Deux ans après son arrivée, l’ouvrage Nocturnes paraît aux éditions no comment®. Une belle opportunité pour se faire connaître et montrer ce qui se passe ici. Depuis, les demandes surgissent. En 2015, Rijasolo est accueilli en résidence à Mayotte et à La Réunion. En 2016, il travaille pour un éditeur français sur un projet sociologique, et a aussi une proposition de résidence avec trois autres photographes du côté de Diego, à l’initiative de la revue Fragments. À cette occasion, il travaillera aux côtés de Johary Ravaloson, chargé de l’écriture de ce numéro de la revue. La porte du Sud est grande ouverte, à vous de vous y engouffrer. 

par #SophieBazin

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