Ruth Leeney : SOS poissons-scies
13 août 2015 - NatureNo Comment   //   2422 Views   //   N°: 67

Menacés de disparition, voire déjà éteints dans certaines zones, les poissons scies sont encore abondants dans les eaux malgaches. À eux la lourde tâche de repeupler les eaux sinistrées du globe, fait valoir la biologiste marine Ruth Leeney. Une course contre la montre. 

Les poissons-scies sont aujourd’hui confrontés à un risque d’extinction plus important que pour n’importe quelle autre famille de poissons. Cet animal qui ressemble à un requin (il peut atteindre 7 mètres) appartient en fait à la grande famille des raies et est immédiatement reconnaissable à son museau allongé et pourvu de dents, appelé rostre. Des cinq espèces connues à travers le monde – essentiellement le long des côtes africaines et dans les Caraïbes -, deux d’entre elles sont considérées en « danger » et les trois autres en « danger critique ». Telle est la conclusion d’un rapport publié en juin 2014 par l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature). Et d’indiquer que si rien n’est entrepris dans les plus brefs délais pour la sauver, l’espèce sera définitivement éteinte à très court terme.

Un signal d’alarme qui ne peut qu’inquiéter la biologiste marine Ruth Leeney, une Irlandaise membre du collectif Protect Africa’s Sawfishes (Protéger les poissons scies d’Afrique). Elle a publié en janvier 2015 avec Nigel Downing une importante étude consacrée aux poissons scies de la Gambie et du Sénégal, d’où il ressort qu’en quatre décennies l’espèce Pristis, autrefois courante, est aujourd’hui quasi éteinte en Afrique de l’Ouest. « Seul un tout petit nombre de pêcheurs nous ont dit en avoir vu au cours des cinq dernières années », explique la scientifique. Les eaux malgaches, au contraire, regorgent encore d’une très nombreuse population de vahavaha (poissons-scies). D’où l’idée d’utiliser cette aire comme base de départ pour repeupler les zones sinistrées.

C’est dans cette optique que Ruth Leeney se trouvait à Madagascar au cours du premier semestre 2015, dans le cadre d’un programme d’étude financé par le Mohammed Bin Zayed Conservation Fund et la Save Our Seas Foundation. « Ce sont les rostres accrochés sur les murs des riverains en guise de décoration qui m’ont fait comprendre qu’ici le vahava est encore très courant. Puis, on a trouvé des juvéniles (entre l’état larvaire et adulte) pas très loin du littoral, ce qui est un bon indice de vitalité », explique-t-elle. Ruth Leeney et son équipe n’ont pas trouvé d’adultes car ce n’est pas encore la période de la mise à bas ; or le poisson-scie ne s’approche des côtes qu’à cette occasion, les femelles pondant aux embouchures des cours d’eau, au milieu des mangroves. « On n’a pas encore pu aller au large par manque de budget et de matériels. Mais on le fera quand je reviendrai », promet la scientifique.

Le poisson-scie, est d’abord victime de la pêche et secondairement de la destruction de son habitat essentiel, les mangroves. Mais, surtout, à l’instar des requins, ses ailerons, comme son rostre, sont très recherchés, constituant un vrai marché de contrebande car l’espèce est officiellement protégée.

« Leur revente peut constituer pour les pêcheurs jusqu’à trois mois de salaires au marché noir. Difficile en ce cas de les dissuader de se livrer à ce trafic qui est aux mains de commanditaires chinois », explique la biologiste. En novembre 2014, les poissons-scies ont été inscrits à la Convention de Bonn sur la conservation des espèces migratrices, ce qui devrait favoriser le développement de stratégies nationales à travers le monde.

« Actuellement, 16 pays seulement ont mis en place des plans de protection qui ciblent directement les poissonsscies », explique Ruth Leeney. « Dans des pays comme l’Australie, c’est assez facile car les poissonsscies sont considérés comme des animaux sacrés. On n’a qu’à raviver la vénération qui entoure ces espèces et le tour est joué… Mais ailleurs ? »

Pour que les poissons-scies de Madagascar jouent pleinement leur rôle de reproducteurs pour le reste du monde, le préalable est qu’ils ne soient pas euxmêmes menacés. D’où l’idée de « sanctuariser » au plus vite les eaux malgaches. Un travail de longue haleine, si tant est qu’on ait encore le temps…
 

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