Rencontre avec le troisième sexe
3 janvier 2013 - Archives Grand AngleNo Comment   //   10922 Views   //   N°: 36

Balou Chabat Rasoanaivo ne s’est jamais cachée d’être différente. Femme dans le corps d’un homme, elle a toujours vécu au grand jour son orientation sexuelle, malgré les quolibets, les invectives et parfois les persécutions. Trente ans de combat et de revendications dans un Madagascar qui change, lentement mais sûrement. 

Les temps changent. Il y a encore dix ans, l’homosexualité (principalement masculine) était un véritable tabou sur la Grande Ile. L’homo (comme ils disent) était marginalisé, exclu de la société, raillé, moqué, parfois persécuté. Mais depuis quelques années l’orientation sexuelle pose moins problème, sous l’influence notamment des grands médias internationaux qui tendent à banaliser le phénomène. « Le regard de la société est moins agressif et moins blessant qu’avant», convient Balou Chabat Rasoanaivo, travesti(e) depuis plus de 30 ans et président(e) de l’association de défense des droits des homosexuels Men have a Sex with Men.

Dans la vie de tous les jours, Balou s’habille comme une femme, plutôt sexy d’ailleurs avec sa jupe moulante et son dos nu affriolant. « Il fut un temps où je me sentais mal quand on me prenait à partie sur mon orientation. Mais aujourd’hui, qu’on me traite de pelaka (pédale) ou de malade mental, cela ne me fait plus rien. Je suis ce que je suis et j’en suis fière.»

Très engagé(e), Balou s’implique notamment dans la lutte contre le sida via les réseaux associatifs. Pour elle c’est d’abord un problème de communication. « Si la prévalence du virus est élevé dans la communauté homosexuelle, c’est que depuis toujours ils n’osent pas se montrer et aller consulter le médecin. Ils souffrent en silence et contaminent leurs partenaires. » Se montrer au grand jour, s’assumer comme « autre », tel est le sens de son combat qui l’amène à voyager beaucoup à travers l’île et à l’étranger pour donner des conférences sur le sujet. « Je suis allé dans plus de 27 pays, des plus rétrogrades aux plus gay friendly, pour voir comment les homos vivent. Ce que je constate, c’est que la prostitution n’est pas une fatalité quand on est un travesti. Dans les pays les plus avancés, beaucoup travaillent et mènent une vie normale, sans avoir à se cacher.»

« Je pense que je suis né(e) avec un vice de fabrication, car au fond de moi-même je me suis toujours senti(e) femme », confie-t-elle. A l’âge où ses petits compagnons jouaient au ballon et aux petites voitures, « elle » jouait à la poupée et à la dînette. Mais c’est à l’adolescence, « en classe de troisième », que Balou a commencé à se travestir malgré son grand gabarit. « C’est le seul moyen que j’ai trouvé pour extérioriser ce que je suis. Ce n’était pas de la provocation, juste un cri, et il a fallu résister à la pression de mon entourage qui me traitait de fou. C’était loin d’être évident il y a trente ans… » Faute de reconnaissance sociale avec vrai travail à l’appui, beaucoup de travestis doivent accepter d’entrer dans les réseaux de la prostitution. « C’est un moyen de gagner facilement de l’argent, croient-ils, souvent dans l’idée de se faire opérer pour changer de sexe. Mais les années passent vite, on vieillit, même vos amis vous lâchent, et il devient de plus en difficile de sortir de cet enfer… » Bien sûr, Balou a dix exemples à donner de « filles » qui ont trouvé le parfait amour – certaines sont même mariées en toute légalité à l’extérieur, quand la juridiction du pays le permet. Mais pour Balou, passer à la mairie n’est pas une priorité, en partie parce qu’elle n’a toujours pas trouvé l’homme de sa vie. « Peut-être que je suis trop volage ou trop exigeante, peur de la routine aussi… » Bien des prétendants lui ont déjà demandé sa main, mais elle a toujours refusé. Aujourd’hui elle vit seule dans sa petite maison de Mahazoarivo. 

Les années passent vite, on vieillit, même vos amis vous lâchent… 

Le regard de la société est moins blessant qu’avant… 

SE PROSTITUER n’est pas une fatalité pour un travesti… 

#SolofoRanaivo
Photographies : Parany Ranaivozanany

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