Regret, quand tu nous tiens !
29 juin 2016 - Fanahy gasyNo Comment   //   1718 Views   //   N°: 78

Des leçons du passé, il en est une particulièrement qui a retenu l’attention des « Ntaolo » (anciens). Elle porte sur le poids des regrets qui seraient de véritables échelles de graduation de nos erreurs. Il s’ensuit cet adage d’une grande profondeur. 

Ny nenina tsy aloha hananatra fa aoriana handatsa, dit le proverbe. « Le regret ne sert pas à mettre en garde, mais à blâmer ». Heureusement, car parler de regret avant même que l’acte ne soit accompli, serait un peu fort de café !
À moins d’imaginer que la peur du regret nous amène à anticiper sur la chose non advenue afin de ne pas la regretter par la suite. Moralement exemplaire, sans doute, mais bien compliqué à gérer au jour le jour ! À mille lieues du bon vieux Carpe diem des Romains qui nous invite à « cueillir le jour présent sans se soucier du lendemain ».
Vis ta vie, nous dit l’hédoniste, il sera toujours temps de passer aux regrets le moment venu. De « battre sa coulpe » comme disaient les moines au Moyen-Âge, dans le sens de se frapper la poitrine en disant mea culpa (c’est ma faute). En clair, et pour rejoindre nos Ntaolo, il n’est nulle leçon à tirer de nos regrets, la chose étant là il n’y a qu’à faire avec. Puisque le vin est tiré il n’a plus qu’à le boire, dit-on en pays Betsileo, et tant pis si c’est de la piquette !
 

La leçon à tirer de cet adage est donc claire : nous sommes responsables de nos actes comme de nos regrets, et s’il y a quelqu’un à blâmer dans l’histoire, c’est nous ! Regrets, remords, repentir, voici des sentiments voisins qu’il s’agit de bien nuancer. Si le regret est simplement le désir qu’un acte accompli ait été différent, le remords est plus violent, à la limite de la douleur, et le repentir plus moral avec l’envie de se débarrasser du poids du passé pour se porter vers l’avenir.

Le sentiment de regret a aussi cette particularité de donner une sensation d’impuissance. L’impression que l’on ne pourra pas revenir en arrière, qu’il faut se résoudre. L’homme du regret est bien l’homme englué dans son passé. Il voudrait éterniser un hier disparu au risque de ne plus faire attention au présent. Il ne vit plus au rythme du monde, passe toutes les occasions de joie. Un vrai dépressif ! N’est-ce pas à lui que Ronsard semble s’adresser à travers ces vers fameux : « Vivez, si m’en croyez, n’attendez à demain : / Cueillez dès aujourd’hui les roses de la vie. » En regrettant un moment passé c’est tout l’avenir qu’on hypothèque. Un penseur plus moderne, Cioran, a toutefois tenté de réhabiliter le regret en posant qu’il n’est pas si handicapant qu’on est tenté de le penser. Il essaie en fait de sauver le passé, il est l’unique recours que nous ayons contre les manoeuvres de l’oubli. Partant de ce même postulat, Proust en a tiré la somme littéraire la plus étincelante du XXe siècle, La Recherche du temps perdu. Alors vive le regret du moment qu’il n’hypothèque pas l’avenir !

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