Pross Rakotonaina
A Morondava, si vous vous baladez vers Nosikely, vous passerez forcément devant son échoppe. Pross sera assis par terre aux côtés de sa femme Hery, au milieu des copeaux d’ébène. Entre ses pieds, une sculpture en préparation. Ce sera le signe pour vous de vous arrêter…
Cela démarre avec une enfance difficile, notamment avec son père. Une relation violente et trop sévère. Jean Prosper Rakotoniaina, alias Pross, décide en son âme et conscience d’adolescent de quitter le foyer familial à l’âge de 14 ans. Il part travailler sur les crevettiers au large de Morondava pendant cinq ans, puis trois ans supplémentaires sur des langoustiers à Fort-Dauphin.
Huit ans plus tard, blindé, musclé, Pross revient au pays, les dread-locks déjà bien salées. Il boit, fume et s’implique dans le groupe Tam-Jah en tant que percussionniste. La vie musicale, pendant cinq ans encore, le transporte dans des excès où boire et fumer font partie du lot des jeunes groupes malgaches. Puis Pross rencontre Hery (la force en malgache), celle qui va devenir sa femme. Pour arrondir les fins de mois, il se fait embaucher à la discothèque L’Aqua Limba (aujourd’hui Le Milord) en tant que videur, puis comme barman.
Mais Hery réfute ce mode de vie décadent et prie sans cesse pour que cela s’arrête. Et du jour au lendemain, Pross démissionne sans réclamer son dû, arrête la boisson et la fumette et se lance dans la sculpture. Se désintoxiquer dans l’art est un refuge possible. « C’est comme si un don m’avait été destiné », dit-il. Aucune école, aucun apprentissage, juste le regard et l’observation lui font croire que lui aussi peut créer.
Pross laisse de côté les conseils d’amis sculpteurs qui lui suggèrent de travailler sur du bois tendre. Obstiné, il s’arrime à l’ébène et au palissandre. Leur noblesse semble déjà lui correspondre. Sa première sculpture date d’il y a dix ans : elle trône là au milieu de mille statues, mais elle n’est pas à vendre. Marié, père de Prossly et Prossalyne, la fratrie s’agrandit encore avec l’adoption d’Annick, Anita, Christina et Augustin.
Les règles à la maison sont le reflet ou l’antireflet de sa jeunesse : « Pas d’enfants qui traînent le soir, pas de filles enceintes trop jeunes, je ne veux pas cela pour les miens ! » Les dreads de plus d’un mètre vingt symbolisent le mode de vie rasta qu’il défend uniquement dans le sens d’une philosophie du bien-être de l’âme et du corps. Il garde profondément ancré en lui les traditions malgaches et ses manières de vivre.
Quand on lui tend la perche de l’accès au rêve, sa réponse est nette : « Après l’écolage des enfants, j’aimerais me payer des cours d’anglais et de français ! » Apprendre encore.
Philippe Bonaldi
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