Ouioui en Malgachie
12 décembre 2014 - FictionsNo Comment   //   2448 Views   //   N°: 59

À pas de zébu (3)

Le virus de la rigolade est largement répandu en Malgachie. Immanquablement les symptômes sont assez éclatants. C’est un virus rictus. En riant, les jeunes se peaufinent et les anciens se dérident donnant à leurs visages d’anges une peau « siramamy » aux dominantes caramel. Même le Mazda jaune se gondole à sa façon avec son contrebalancier. Sociologiquement parlant, il y a sans conteste une bonhomie partagée dans les transports en commun.

Si vous osez mettre en queue de wagon un taxibrousse malgache dans un métro parisien de France, vous enclencherez une félicité collective. Imaginez la scène d’un taxi-brousse à Paris ! Le virus est heureusement contagieux. La rigolade ne fait pas dans la dentelle. Il nous est inoculé comme par enchantement. Les symptômes avant-coureurs sont la gaieté et le sourire. C’est une pathologie bourrée d’endorphine naturelle qui décomplexe le rictus. Le rire est un muscle à bénéfice.

Dans un espace aussi restreint qu’un taxibrousse, le diagnostic est flagrant : trente-et-un malades atteints du syndrome de la rigolade ne passent pas inaperçus. Cette pathologie récidiviste est à l’antithèse du virus métropolitain (de type épileptique, tendance dramatique). Les spécialistes diraient que nous avons affaire à une propagation de la réjouissance contagieuse. Concernant le métro, d’autres professionnels de santé publique décriraient ce type de virus comme une trame à correspondance complexe, une syntaxe du passé antérieur. Un métro malpolitain. A contrario, le taxi-brousse se rapprocherait plus du syndrome du complément d’objet direct et de l’impératif.

De toute évidence, le noyau dur de la structure moléculaire de ces deux états pathologiques provient du muscle de l’émerveillement. Sans vouloir cloisonner ces deux points de vue dans un cliché réducteur, une conclusion honnête serait de s’avouer que tout cela est une franche rigolade communicative. Il est bon de rire. Ce n’est pas parce que la nuit tombe plus vite qu’en Occident qu’ici on arrive plus tôt. Il n’y a pas de cause à effet. Un trajet prend le temps qu’il faut.

Prévoir une heure d’arrivée serait une atteinte indélicate à tous ceux qui n’ont pas de montre. Antsirabe/Ambositra : 92 km/mora. Entre les descentes de passagers et leurs bagages sur galerie, les remontées, les colis à déposer à la borne 61, ceux à prendre à la borne 82, une crevaison éventuelle, cela amplifie la devinette mathématique sur l’exactitude de l’heure d’arrivée. À l’école déjà, il m’était difficile de résoudre ce type de problème : « Si trois cochons de 120 kg descendent au km 10 à 13 h 12, que trois passagers de 60 kg rentrent avec 12 sacs de riz de 7 kg chacun à 14 h 10 mais que 20 passagers de 40 kg en moyenne descendent en cours de route, combien le taxi-brousse pèsera-t-il à l’arrivée ? » Rajoutez à cela le décalage qui autorise une fourchette horaire en fonction des côtes et des descentes, vous obtenez un problème aux paramètres insolubles. Immanquablement le résultat de l’exercice en question finit toujours par donner l’âge du conducteur. Le même épilogue que zéro plus zéro est égal à la tête à Toto.

Devant un professeur de mathématiques récalcitrant, reste toujours l’excuse bidon du fameux hémisphère Sud qui renverse les données ainsi que les circonstances atténuantes de la thèse qui prouve que l’océan, ici, est bourré d’Indiens. Dans les campagnes de cette région du Vakinankaratra, les écoliers ont tous le sourire d’aller à l’école. Des files indiennes de petits écoliers sillonnent les bords des routes en direction du collège. La couleur des blouses indique le nom de l’établissement. Pieds nus ou en claquettes, il n’y a pas de démarches académiques. Les enfants sont comme des papillons en marche vers une nouvelle Malgachie.

En Occident, de vieux académiciens euros seraient sûrement très fiers de voir la jeunesse de leur pays parcourir les campagnes de la sorte. La fleur au cartable, le sourire aux lèvres, en quête de connaissance. Cela pourrait faire resurgir le souvenir de la belle blouse traditionnelle et engendrer la renaissance d’un nationalisme camouflé. Ah ! qu’elle est belle notre jeunesse au rictus innocent ! Mais la Malgachie ne mange pas de ce pain-là. La Malgachie mange du riz. C’est là toute la différence.

Mamy m’avait signalé en rigolant que l’assiette de l’homme euro : « c’est beaucoup de viande avec un peu de riz. Nous ici, c’est le bol entier de riz avec de la sauce de viande ! » Cette simple comparaison, formulée sans critique, résume la vision de Mamy sur l’état du monde. Les modes de fonctionnement entre l’Occident moderne et la Malgachie sont aussi opposés qu’entre une vache et un zébu. Chacun sa route, chacun son festin.

Tout à coup, le chauffeur du taxi-brousse freine dans un tournant. Mamy lui signale le petit chemin à droite. Nous descendons ainsi du fourgon quelques kilomètres avant la ville d’Ambositra. Désensardiné, les pieds posés sur le bitume, je vois M. Polichinelle et son taxi jaune qui nous salue. Veloma sy soava dia. Au revoir et bon voyage ! À l’intérieur du taxi-brousse, tout le village des Ouioui malgaches disparaît dans les brumes grises du pot d’échappement.

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