Opération Tandroka (épilogue)
1 mars 2013 - Archives Grand AngleNo Comment   //   4981 Views   //   N°: 39

Début juin 2012, dans le sud de Madagascar. Le chef dahalo Remenabila tue dix militaires dans une embuscade. Pour l’État, cet homme devient l’ennemi public numéro 1. Début septembre 2012, une opération militaire baptisée « Tandroka » est organisée dans le district de Betroka. Son but : capturer Remenabila. L’opération s’achève en décembre dernier. Aujourd’hui les militaires sont repartis. Et Remenabila est toujours insaisissable.

«À l’entrée du village, il y a eu des coups de feu… » Betroka. « Les militaires sont arrivés, et ils ont tiré… » L’hôpital. « Alors tout le monde s’est enfui, sauf moi… » Février 2013. « Je leur ai demandé : mais que voulez-vous ? » Vers midi. « Ils n’ont pas répondu. Ils m’ont frappée… » La femme parle.

« Sur les bras, sur les jambes. Et ils ont brûlé ma maison, sous mes yeux. » Assise sur un lit. « J’étais par terre. Ils ont allumé de la paille, et ils l’ont jetée sur les toits. Tout le village a brûlé. » Un enfant dans ses bras. « Il s’appelle Avotra. Il a quarante-cinq jours. Sa mère est morte en accouchant dans la forêt. Elle vit là-bas, parce qu’elle a peur que les militaires reviennent dans le village. C’était ma soeur. »

 

Hôtel-restaurant à Betroka. Rencontre avec le sergent Stéphane, commando du RFI basé à Antananarivo. Son régiment est actuellement en opération dans la région de Betroka.

Village d’Ambodelaky. Roger, marié, père de famille, est cultivateur de riz. Il pose dans sa maison qui a été brûlée par les militaires. « Ils n’ont rien dit , ni qui ils cherchaient, ni pour quoi il s’agissaient ainsi, ils n’ont absolument rien dit. J’aimerais qu’il puisse au moins me rembourser toute la réserve de riz qui a brûlé dans l’incendie… »

Le nouveau-né dort. « Je suis allée à Antananarivo. J’ai rencontré le Premier ministre. Je lui ai dit ce que les militaires avaient fait. Il m’a dit qu’il allait nous venir en aide. » La femme parle d’une voix calme. « Mais il n’est toujours pas venu. » La lumière blanche pénètre dans la chambre d’hôpital, et traverse la moustiquaire accrochée au-dessus du lit. Tognazy a quelques rides. Elle parle à basse voix à une vieille femme assise à côté d’elle.

La vieille femme se lève et dit « Venez, je vais vous emmener voir quelqu’un. » Le vent balaie les rues de Betroka. Il est quinze heures. Quelques bâtiments gris. De la boue. La vieille femme marche droit devant elle. « Vous savez, les gens disent que Remenabila est Bara. Du clan Zafindravala. Mais c’est pas vrai. Chez nous, personne ne le connaît. Alors pourquoi avoir brûlé nos villages ?»

 

Le village d’Asely a été complètement incendié en novembre 2012.

Au loin, la montagne. Puis devant elle, un bâtiment rouge sombre. Le bâtiment s’approche. Plus près. Au pied de ses murs, quelques hommes travaillent la terre. Devant eux, un autre homme les regarde faire. Assis sur une chaise. Un kalachnikov sur les genoux. La vielle femme sonne à la porte de la prison.

Un homme ouvre. Il l’a conduit à une salle, avec un bureau. La vielle femme attend. Un homme entre dans la salle. Il porte un polo vert. Grand. Clair. Le visage rugueux,des cicatrices sur les pommettes. Il s’assied face à la vieille femme. L’homme qui a ouvert reste debout. Il porte son fusil-mitrailleur.

L’homme aux cicatrices demande une cigarette. Il l’allume. Souffle la fumée. Regarde sur le côté. Et parle. « La genèse de cette affaire, la voilà. Le 9 septembre 2012, nous avons quitté Tana, pour le district de Betroka, en vue d’effectuer une mission de sécurisation nommée Tandroka, ce qui signifie cornes de zébu.

Cela, suite à des attaques répétées et massives de dahalo armés, la bande à Remenabila et consorts, ayant causé des pertes en vies humaines, aussi bien civiles que parmi les forces de l’ordre. Mais je peux dire, en tant qu’entité composante, que cette opération n’a donné aucun résultat positif. »

 

Village d’Asely. Un habitant pose dans les ruines de sa maison. Il tenait une gargote et une petite épicerie.

 

Village d’Asely. Tsimandry Justin se tient debout sur les décombres de sa maison détruite.

L’ancien militaire écrase sa cigarette. « Notre but était la capture de Remenabila et la restitution des boeufs volés. Pourtant, toutes les actions entreprises n’ont pas tendu vers ce but. » Quelqu’un rentre dans la pièce, et tend un paquet de cigarettes à moitié vide à l’ancien militaire, qui en rallume une.

« On restait à Betroka. Puis on partait en opération 72 heures, puis on revenait à Betroka. On restait à rien faire, désoeuvrés. On allait là où nous disaient d’aller les enquêteurs, qui agissaient sur dénonciations de « victimes » présumées des dahalo. Je peux dire qu’il y a eu des abus. Certains se sont fait beaucoup d’argent. »

 

Un jeune garçon indique la direction à prendre pour rejoindre le lieudit « Rotomana » où se sont réfugiés des habitants après la destruction de leurs habitations.

La nuit. Place centrale de Betroka. Les taxis-brousse sont partis. Ils laissent la place aux chiens errants. À un baby-foot visible depuis la terrasse de l’hôtel. À des tables, et de l’alcool. Un ancien chef de district de la région sourit. Il commande un Bonbon anglais.

« Vous savez, les Bara sont réputés dahalo de naissance. Mais ça n’est pas vrai. Dans la bande de Remenabila, il y a des gens recrutés, mais il y en a aussi beaucoup qui adhèrent volontairement. Pour se protéger. » Trois militaires entrent dans l’établissement. Ils s’asseyent à une table au fond de la salle, et posent leur arme à côté d’eux..

Andorisa. Jean Batiste pose avec sa femme et ses enfants dans les ruines de leur maison. « Nous revenions de la rizière quand j’ai vu les militaires en train de brûler notre maison. Je me souviens bien, c’était un lundi vers midi. Ils ont tué un zébu pour en faire leur repas. »

Bilal Tarabey
Photos : Rijasolo

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