Mpatsaka
1 octobre 2012 - MétiersNo Comment   //   1497 Views   //   N°: 33

Cela fait quinze ans qu’il arpente le quartier de Besarety avec ses bidons à bout de bras, remplis à ras bord. Un travail de fourmi pour un salaire à l’avenant : être mpatsaka (porteur d’eau) n’est pas toujours une sinécure…

Jean-Marie, Razàma pour les intimes, est un des porteurs d’eau les plus demandés de Besarety tellement son service est impeccable : rapide, sans débordement inutile et toujours avec le sourire. Son job ? Aller chercher l’eau à la borne fontaine et l’amener à domicile. Une course payée 100 ariary le bidon de 20 litres, mais rien pour le compliment d’usage aux ménagères et le guili-guili aux bambins : « C’est gratuit et ça sort du coeur », lance-t-il, claudiquant comme un beau diable avec deux seaux à chaque main, remplis à ras bord.

Pas loin de 80 kilos en tout ! Sans sangles ni système de balancier sur les épaules : « Inutile pour si peu de poids, ça ralentit plus qu’autre chose », ahane-t-il, suant sous l’effort, comme s’il allait rendre par les pores de sa peau toute l’eau qu’il transporte. « Les gens se plaignent parfois que 100 ariary ça fait cher la course, mais il faut se les coltiner, les seaux. Et je ne te dis pas quand il y a un escalier de trois étages à monter… »

Tel quel, à 43 ans, marié et père de famille, Razàma est heureux de vivre car il a le sentiment d’exercer un métier utile, voire nécessaire. « S’il n’y a pas d’eau, il n’y a pas de vie », note-t-il philosophe. Conciliant avec les clients, il se fait payer à la course ou au forfait mensuel. Beaucoup sont des habitués qu’il connaît depuis des années, voire des amis.

Le 30 du mois, quand la paye arrive, il n’est pas rare qu’ils lui offrent en prime un petit verre de rhum. « C’est de l’eau qui brûle », se marre Razàma. Mais s’il est aussi populaire dans le quartier de Besarety, c’est que Razàma est d’abord un sacré bavard, avec toujours une petite anecdote ou une bonne blague à raconter. « Je ne suis pas qu’un porteur d’eau, je suis aussi un porteur de nouvelles », précise celui qui colporte d’un pâté de maisons à l’autre tous les cancans du jour, mariages, naissances, scènes de ménage…

Et ça marche ! Chaque jour, il livre pas moins de 20 ménages, soit 40 bidons de 20 litres. Chiffre d’affaires : 5 000 ariary par jour. « Pas le Pérou, mais de quoi faire bouillir la marmite et éduquer les enfants pour qu’ils ne soient pas mpatsaka comme leur père », soupire-t-il. Ses seules craintes, les coupures d’eau qui durent trop longtemps et qui le mettent au chômage technique.

A l’inverse, les journées pluvieuses qui lui font concurrence car l’eau arrive d’elle-même à domicile. Razàma a aussi conscience d’exercer un métier appelé à disparaître : « Le but de tout le monde, c’est quand même d’avoir un jour l’eau courante chez soi.

Je ne peux pas leur reprocher, moi-même je serais content de l’avoir ». Ce jour-là, Razàma n’aura plus qu’à remiser ses seaux et à se trouver un autre métier. Mais ce n’est pas pour autant que ses projets tomberont à l’eau…

Njato Georges.

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