Mort où est ta victoire ?
14 septembre 2016 - Cultures Fanahy gasyNo Comment   //   1726 Views   //   N°: 80

« Maty aho, matesa rahavako » peut se traduire par : « Si je meurs, meurs aussi, mon cher », et l’on ne peut pas dire que ce soit un cadeau pour ceux qui nous survivent. Les « Ntaolo » (Anciens) auraient-ils manqué de sens moral sur ce coup-là ?

Souhaiter la mort de quelqu’un n’est jamais d’un grand esprit, surtout lorsque celui qui fait ce souhait – en réalité une menace – est lui-même en train de passer l’arme à gauche ! On n’est pas loin du fou paranoïaque des blockbusters, du Docteur Folamour se faisant larguer au-dessus de la Terre avec sa bombe atomique, bien décidé à tout faire péter ,et lui avec : « Crevez donc tous si je dois y passer ! » Plus élégamment dit : « Après moi le déluge » selon l’expression prêtée au roi Louis XV, dit le Bien-Aimé (bien que la réciproque ne fût pas vraie apparemment !)

Pas question que tu vives si je meurs ! Est-ce de l’ironie de la part des Ntalao ? Une réaction de mauvais perdant ? Difficile à dire, mais sans doute s’attendrait-on ici à une toute autre réaction : « Si je meurs, vis mon cher. »

Un mélange d’acceptation de son sort et de bénédiction pour les autres, à la façon du poème d’Aragon sur les dernières paroles d’un fusillé (l’Affiche rouge) : « Adieu la peine et le plaisir adieu les roses / Adieu la vie adieu la lumière et le vent / Marie-toi sois heureuse et pense à moi souvent / Toi qui va demeurer dans la beauté des choses. »

On dit que dans la Chine ancienne, l’épouse s’immolait avec le défunt afin de le rejoindre et goûter avec lui les délices du repos éternel. Dans leur conception « moniste » (unitaire) du monde, les anciens malgaches faisaient si peu la différence entre les vivants et les morts – l’esprit des morts est toujours là – qu’il faut peut-être voir là l’explication de ce dicton insolite : l’invitation à mourir demandée comme une ultime preuve d’amour. N’est-ce pas dans cette tonalité romantique, à la fois amoureuse et sacrificielle, que se situe la fameuse histoire de Roméo et Juliette : plutôt être unis dans la mort que désunis dans la vie !

La piste semble convaincante si l’on se réfère à cet autre dicton : Velona iray trano, maty iray fasana qu’on peut traduire par « Vivants on vit dans la même maison, morts on est enterrés dans le même tombeau ». Un sens du « vivre et mourir ensemble » qui jure pas plus d’un aspect avec l’individualisme dominant des civilisations occidentales. Ainsi, il est curieux de constater à quel point les Malgaches goûtent peu les individus qui se distinguent du lot, surtout s’ils ont réussi en ayant mal acquis ! D’une certaine façon, ils touchent à l’équilibre naturel et la communauté ne peut qu’en pâtir, comme l’exprime cet autre dicton : Ory hava manana, littéralement « souffrir à cause de la réussite d’un proche ». S’agit-il exactement de jalousie, comme le disait un étranger remarquant que « le Malgache a une nature gentille mais jalouse » ? Pas sûr, juste un sens très poussé du bien public ! Mourir seul, mourir ensemble, qu’importe après tout puisque chacun meurt selon son mérite, du moins à en croire la vieille loi indienne du karma !

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