Monsieur Hylliard
Pimenté ou non pimenté ?
n°46
Tous les enfants d’Andohalo le connaissent comme Monsieur Piment. Ni plus ni moins que l’inventeur des « lifu », ces extraordinaires beignets de rue dont la réputation a même atteint l’étranger. Recette tenue secrète comme le Coca, cela va de soi.
« Pimenté ou non pimenté ? » Toute la sainte semaine depuis vingt ans, dimanche après-midi excepté, M. Hylliard proposent aux passants ses beignets d’un genre très particulier ou lifu comme il les appelle. Un nom inspiré d’un personnage de film chinois, laisse-t-il entendre. Pour les enfants du quartier d’Andohalo, il est « Monsieur Pimenté »,
tant ses beignets « végétariens » sont réputés à des kilomètres à la ronde. « J’y mets des plantes aromatiques peu utilisées, le romarin notamment, et des épices comme la cannelle ou le girofle. » Mais pas question d’en dire plus, secret industriel !
Sur place de 10 h 15 à midi et de 15 h 20 à 17 heures, il n’a aucun mal à écouler ses deux sacs de lifu. « J’ai choisi ce rond-point, car c’est un emplacement stratégique. J’ai des clients qui viennent de l’état-major, de l’Inscae (Institut national des sciences comptables et de l’administration d’entreprises) ou encore du collège Maria Manjaka, je ne chôme pas…» Chaque soir, M. Hylliard consacre environ deux heures à préparer ses beignets, puis il se lève le lendemain vers 3 heures et demie pour la première fournée de friture et la finition. En plus de la vente sur place, en vrai pro de la restauration, il prend des commandes au téléphone, qu’il honore lui-même : un travail assez fastidieux à bientôt 60 ans, mais qu’il prend avec bonhommie et non sans philosophie.
Curieux destin que celui de ce métis franco-malgache : son grand-père était un vazaha marié à une Malgache et lui-même a grandi dans l’Hexagone. Valihiste et guitariste accomplis, il s’honore d’être d’abord un artiste qui a trouvé grâce aux beignets un job alimentaire lui permettant de laisser libre cours à sa créativité. « Un moment j’enseignais le solfège à domicile, mais c’est monotone et assez mal payé comme boulot. Alors qu’avec les beignets, je prends un plaisir fou dans ma cuisine à améliorer mes recettes… » En vingt ans de pratique, il n’a monté le prix qu’une seule fois. « Au début, je vendais mes beignets 20 ariary la pièce, mais en 2009, j’ai dû passer à 30, car ce n’était plus rentable. Malgré tout j’arrive à tout écouler, jamais de reliquats. » Bref, sa petite entreprise ne connaît pas la crise. La preuve, il a créé en 2002 sa propre « succursale » du côté du jardin d’Antaninarenina. « C’est Monsieur Gilbert qui est en poste. Il avait perdu son emploi dans les zones franches et peinait à vendre du pop-corn ici, alors il est venu me voir. Il écoule jusqu’à 1 500 pièces par jour, un peu moins que moi… » Il n’est pas rare qu’on lui commande ses lifu pour les amener à l’étranger. Si ce n’est pas la gloire, ça y ressemble.
Joro Andrianasolo
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