Lova Nantenaina
1 mai 2014 - Film du moisNo Comment   //   3049 Views   //   N°: 52

Système D… système M

En ces temps de récession planétaire, là où l’on voit les riches d’hier piquer du nez dans la gamelle, rien ne dit que Madagascar n’ait pas un vrai savoir-faire à exporter en matière d’informel, de débrouille et de système D (ou M en l’occurrence).  C’est tout le propos du documentaire  Ady Gasy, premier long métrage de Lova Nantenaina.

Avec un prix à la 70e Mostra de Venise et une projection en première mondiale au 28e Festival international de films de Fribourg (Suisse), le 30 mars dernier, Ady Gasy (technique malgache) est typiquement l’œuvre dont un pays peut s’honorer devant  la communauté internationale. Même si la réalité qu’il décrit  renvoie toujours à cette  image d’un Madagascar dans le trente-sixième dessous, empêtré dans  sa pauvreté avec  la débrouille et le système D pour s’en sortir. Mais puisqu’il s’agit de la réalité… Mais comme le dit plaisamment Lova Nantenaina : «Si le monde de l’argent roi s’effondrait, à Madagascar, on tomberait de moins haut ! » Et d’expliquer qu’en ces temps de récession planétaire, là où l’on voit les riches d’hier piquer du nez dans la gamelle, rien ne dit que Madagascar n’ait pas un vrai savoir-faire en la matière à exporter !

« Le temps d’un film amusons nous à renverser les rôles… imaginons que ce ne soit plus aux économistes d’exposer leur modèle de développement, mais aux paysans, artistes, artisans, et débrouillards en tous genres de présenter leurs savoir-faire et leurs réalités singulières, recettes à appliquer en temps de crise. Place au système D… ou plutôt au système M ! » Armé de cet humour corrosif qui le place d’emblée à l’égal d’un Dickens ou d’un Chaplin, le réalisateur fait défiler sous nos yeux pendant 84 minutes de vrais prodiges de l’informel, de purs génies de la démerde. Telle cette famille qui fabrique du savon avec des eaux de poubelles… il suffisait d’y penser ! «  Ils font du propre avec du sale et n’ont aucun patron. Ils en vivent et ils sont fiers », commente Lova Nantenaina  qui a lui même connu la grande pauvreté dans son enfance.

 Né en 1977, il quitte le pays  à 22 ans pour étudier la sociologie en France. Il intègre ensuite l’Ecole de cinéma de Toulouse  et réalise des courts métrages remarqués, voire primés dans les festivals. Ady Gasy, « bricolé » par sa propre société de production, Endemika Films avec Autantic Films et  Laterit Productions,  est en fait son premier long métrage  « A chaque passage à Madagascar, cette profusion de vie, anarchique au premier abord, qu’on y voit m’interpellait… ces gens qui travaillent dans l’informel  sont bourrés d’énergie positive. Ce sont des  créateurs, des artistes. Au lieu de les réprimer, il faudrait les encourager. Et les écouter, car ils ont des choses à apprendre à tous ceux qui rêvent d’une économie alternative… »  Pour financer  une partie de son film, il a lui-même eu recours à une solution alternative, le crowdfunding ou financement participatif  (la recherche de donateurs se fait sur Internet selon les moyens de chacun) : « On a demandé 2 000 euros via Touscoprod, on en a eu 2 200 ! »

« J’ai construit mon film comme un kabary (art oratoire traditionnel) », explique-t-il. La narration du film est en effet ponctuée de discours (kabary) récités par  Blandine de la troupe Raedisamimanana : « Paysanne la moitié de l’année, oratrice le reste du temps, c’est exactement le personnage qu’il me fallait pour mettre en avant l’oralité malgache. » Pour la musique, il a fait appel à Jao du groupe Piarakandro, porte-parole de la culture Antandroy. La musique  et les rythmes servent par moment à  mieux faire passer certaines images dures, car le film en contient, à l’image de la réalité sociale du pays. « Ce n’est pas un film qui positive béatement les choses », prévient-il.  Ady Gasy devrait sortir sur les écrans malgaches en 2015.  

Joro Andrianasolo

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