Lettres de Lémurie – Nathacha Appanah : Petit éloge des fantômes
24 août 2017 - CulturesNo Comment   //   1171 Views   //   N°: 91

« … Il y a un autre monde dehors qui est à nous aussi »
Harlem, Eddy Harris

Nathacha Appanah, Petit éloge des fantômes,
Collection Folio, Gallimard, 2016, 112 p.

Très remarquée suite à la sortie de son dernier roman, Tropique de la violence, Prix Femina des lycéens, Prix France Télévisions 2017 et bien d’autres, la grande auteur mauricienne nous revient avec ce recueil de nouvelles.

Créée en 2007, la collection des Petits éloges présente des textes courts inédit d’auteurs contemporains sur des sujets divers comme la jalousie, l’excès, la colère, la douceur, la gourmandise, la solitude ou encore la bicyclette, la paternité ou les fantômes …

Nathacha Appanah nous propose ses fantômes ; non pas des apparitions surnaturelles (quoique) mais des personnes du passé qu’on a ratées et qui hantent nos mémoires ; pire, des personnes du présent qui manquent terriblement dans nos vies.

Ainsi Lili, une sœur disparue trop tôt et trop vite emportée par un tsunami. On ne veut surtout pas réaliser la perte. « Oh, je sais que Lili n’est pas vraiment là, que c’est mon esprit qui me  » joue des tours  » (…).

Pourquoi devrais-je refuser cette vie-là, que les autres appellent délire, fantômes, hallucinations mais qui est ma version à moi du vivant, du présent, du palpable, du survivable ? »

Cela peut être également un amour insaisissable, même de son vivant, et qu’on reconnaît de suite comme un fantôme dès son départ. Cela peut être un mari décédé brusquement, tellement aimé, tellement avec soi, qu’on en efface le départ de sa mémoire. Et qu’on lui en veut pour l’assiette et les couverts oubliés dans l’égouttoir !

Cela peut être aussi une grande peur, suite à un désastre connu, qui revient au moindre signe annonciateur. Et quand la dévastation est subie collectivement, comme un cyclone, les hommes parfois se retrouvent pour « combattre son fantôme ». Rien ne les raisonnerait.

De façon plus personnelle à l’auteur, on rencontre aussi dans le livre les fantômes de ses bien-aimés, sa grand-mère et son grand-père. Elle donnerait beaucoup pour passer vingt-quatre heures supplémentaires avec eux. Non seulement parce qu’ils étaient « extrêmement tendres et aimants » mais aussi parce qu’ils représentaient « l’ancien univers », celui des origines très peu connues, oubliées sinon ignorées, et où l’écriture trouve difficilement sa place. « Ils sont au-dessus de mon épaule, dit-elle, ils sont présents et impalpables à la fois. »

Ces fantômes peuvent être aussi des actes qu’on n’a pas faits et viennent visiter nos nuits. Ainsi l’idée de partir, de tout laisser en plan et de disparaître. « Quelle chance de ne pas avoir eu cette idée en hiver il y aurait plus de choses à faire avant … ». Cette idée est annoncée par un autre fantôme, nous-mêmes, mais plus jeunes, plus libres. « Ce fantôme n’est pas effrayant au contraire il te rassure il te booste ».

Avec Petit éloge des fantômes, l’auteur nous amène « non pas à faire un choix mais à apprivoiser (ou réapprivoiser) tous nos fantômes – les absences, les non-dits, l’enfance, les rêves, la mort, la trahison. Une façon de les regarder en face, de leur faire une place dans nos vies et, enfin, d’avancer. »

Chaque personne, chaque culture ou tradition a sa façon de le faire. Nathacha Appanah qui a grandi dans une famille hindoue traditionnelle nous partage certaines réponses. Les questions n’en demeurent pas moins en elle : « Chaque hindou a un dharma, un devoir à accomplir de son vivant. Les textes sacrés disent qu’une âme peut renaître indéfiniment, connaître inlassablement les mêmes situations et parfois recroiser les mêmes âmes si elle n’a pas compris et accepté son dharma. C’est probablement l’aspect de l’hindouisme que je trouve le plus difficile à cerner. Comment savoir quel est son devoir ? Est-il de se battre ? Est-il de se soumettre ? Est-il de lâcher prise ? »

Bien lémurifiquement,

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