Lettres de Lémurie : Ben Arès, Je brûle encore
26 septembre 2017 - CulturesNo Comment   //   1557 Views   //   N°: 92

« … Il y a un autre monde dehors qui est à nous aussi »
Harlem, Eddy Harris

Ben Arès, Je brûle encore,
recueil de nouvelles, Collection Plumitif, éditions Dodo vole, 2017, 104p.

Ben Arès écrit des fictions et de la poésie. Né à Liège en Belgique, il édite et dirige aussi des revues littéraires, Matières à poésie, puis Langue vive depuis 2008. Cela fait une vingtaine d’années qu’il a noué des attaches dans l’Île aux ancêtres et il vit à Toliara depuis 2009. Je brûle encore est son quinzième ouvrage, le cinquième sur Madagascar. Il y a onze nouvelles.

Le titre dit que le feu a déjà pris et que cela continue.
Brûlent ceux qui « dans les systèmes des enferrés dans les galères de la misère » ont gardé « l’envie de s’en sortir sans sortir ». Brûlent les garants contre le kere qui osent tout, le vol, la prostitution, l’exil, le désaveu des morts pour faire bouillir la marmite. Coûte que coûte. Brûlent ceux qui aiment « cette chienne de vie qui ne tient qu’à un fil ». Ainsi M.-J. R., dédicataire de la nouvelle éponyme, « parti dans sa jeunesse en s’opposant aux valeurs de son propre père, du père de son père ». Ainsi J.-J. Efiaimbelo, grand sculpteur et héritier du savoir-faire des Aloalo qui ose « quitter les champs magnétiques de la Mort pour rendre compte du quotidien, des rites et des croyances du Grand sud. Brûle « celle qui n’était visiblement pas vouée à être logée avenue du ciel ». Brûlent les victimes d’une « justice malfamée », de la sordide corruption,

de la lâche hypocrisie. Brûlent ceux qui « rares à tenter l’impossible (…) veulent s’en sortir honnêtement » ! Dans quel pays on est ? Sérieusement ?

Un adage de sophiste tient lieu de vérité : Mihinana raha mahita fa ny faty tsy mba hita (Mange, si tu trouves à manger, tu ne sais pas quand la mort va frapper).

Certains crient que cela ne peut plus durer. Certains crachent « sur ce fihavanana surréaliste qu’on nous chante à tout-va ». Certains murmurent déjà « à quoi bon …? (Vérité sur parole). Tous sont « à bout de souffle ».

Le sud brûle sous l’ardeur du soleil, du kere et du toaka. On le sait au moins depuis Roman vrac de Jean-Claude Mouyon. Ben Arès transmet les paroles de ceux qui brûlent dans l’ombre, les trop souvent absents de notre littérature. Je devrais dire plutôt que Ben Arès les transcrit. Car ce qui est nouveau dans ce recueil de nouvelles n’est pas ce qu’il dénonce. Il parle du sud, du quartier Sanfily, du front de mer de la Batterie, du village d’Androka, du Taxi Lela de Toliara. Mais nous entendons les rumeurs de toute l’île. Nous reconnaissons. Nous nous reconnaissons. Vous, eux, moi, tous nous savons ce qui est dénoncé.

Ce qui est nouveau et frappant, c’est la langue ! Une langue vive qui accroche et décoche des flèches en flammes. Ceux qui brûlent se demandent « que faudra-t-il augurer de ton abstention à réagir ? L’innocence ou ton mépris de la réalité toute crue et sens dessus dessous ? » (Le théâtre et la cruauté).

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