Lettres de Lémurie
2 juillet 2014 - Non classéNo Comment   //   3043 Views   //   N°: 54

«… Il y a un autre monde dehors qui est à nous aussi »
Harlem, Eddy Harris.  

Dans son ouvrage polyphonique En Lémurie ou Guerre et mythe dans l’océan Indien (éditions L’Harmattan, collection Romans historiques, Paris, 2013, 249 p.), Michel Thouillot affirme que « la Lémurie n’est pas sol à envahir ». Il nous rappelle cependant les heures sombres de la prise de Madagascar par la France en 1895. Il nous fait en particulier revivre la terrible humiliation de Marc Rabibisoa, second secrétaire du Premier ministre de l’époque, après la débâcle d’Andriba. Sur les flancs de cette montagne, l’armée de la Reine se dispersa épouvantée par l’explosion des obus à la mélinite de l’avant-garde de l’armée française. L’auteur nous fait entendre également les voix d’autres protagonistes dont Jules Hermann (1845-1924).

Notaire, maire de Saint-Pierre, mais aussi chercheur à l’esprit encyclopédique, il s’est passionné pour Madagascar, la langue malgache et ses origines et a dévoilé les mystères de la Lémurie dans Les révélations du Grand Océan (publié à titre posthume en 1927 mais dont les premières parties avaient commencé de paraître dans la Revue des Colonies de 1896 à 1898).

Ce n’est pas Dreamworks qui a inventé la Lémurie. Le nom vient bien évidemment des lémuriens que l’on ne trouvait déjà plus qu’à Madagascar ; du latin lemures signifiant « âme des morts » ou « spectre d’un décédé »… comme si les naturalistes avaient consulté les Malgaches pour nommer ces primates. En effet, chez certains Betsimisaraka, notamment chez les Zafinambo entre Vatomandry et Toamasina, on considère les endrina ou babakoto comme des réincarnations d’ancêtres ; au point que s’ils rencontrent un endrina en captivité, ils cherchent à le racheter pour le ramener dans les forêts. Chez les Sakalava, le lémurien est considéré masina. Dans l’Imerina, au temps où l’on en trouvait encore, si on rencontrait un lémurien mort, on l’enterrait en le couvrant au moins d’un lamba. Plus généralement, un fady protège les lémuriens dans tout le pays, et même si les fady se perdent de nos jours, rares sont les Malgaches qui avouent en chasser et en manger.

Ce lien mystique est confirmé par la paléontologie laquelle relie la survivance à Madagascar des lémuriens, ancêtres de l’homme, à l’isolation créée par la dislocation d’un continent préhistorique.
Le premier, le zoologiste anglais Philip L. Sclater (1829-1913) invoqua l’hypothèse. Avec Lemuria, le continent disparu de l’océan Indien (édition Mauritiana, Grand-Baie, Maurice, 2009, 110 p.), Emmanuel Richon recense les pièces du puzzle qui ont construit le mythe depuis Sclater à Jules Hermann et Malcolm de Chazal, en passant par le taxonomiste darwinien Haeckel, inventeur également du mot « écologie » et qui trouva dans la Lémurie le chaînon manquant de nos origines.

« A la place de la mer des Indes était un continent s’étendant le long de l’Asie méridionale, de l’Afrique et de la Malaisie. Ce vaste et ancien continent a été appelé Lémuria par l’anglais Sclater, d’après les makis qui caractérisent sa faune. Son existence est d’un grand intérêt. C’est là que vraisemblablement fut le berceau du genre humain » (Ernst H.P.H. Haeckel, Histoire de la création, C. Reinwald, Paris, 1874, cité par E. Richon). Tectonique des plaques, dérive des continents, cataclysme gigantesque advenant, ne subsistent aujourd’hui que notre île et les Mascareignes.
Jules Hermann apporte des arguments linguistiques pour corroborer les hypothèses des paléontologues : il trouve des relations étroites entre non seulement le malagasy, le malais et le mélanésien mais jusqu’avec des langues sud-américaines, européennes, notamment le gaélique et le gaulois. Ainsi, a-t-il révélé dans une étude systématique de toponymes français une étymologie malgache. Mieux, il pense découvrir en notre langue qu’il admire des propriétés qui en feraient une langue première : une structure essentielle simple, la possibilité d’utiliser le même mot comme verbe, nom, adjectif ou adverbe ainsi qu’une conjugaison limitée aux trois temps fondamentaux et où la personne, le nombre et le temps du verbe sont indiqués par une syllabe ajoutée à l’infinitif.

En considérant la langue lémurienne, le proto-malagasy, comme la source de toutes les langues, Jules Hermann ouvre une voie royale à notre imaginaire poétique et littéraire (Hart, De Chazal, Xhi) et charge également le mythe lémurien d’un symbolique fort.

Il permet en effet d’inverser la perspective coloniale, de modifier les hiérarchies entre les îles et les métropoles, de privilégier le sensible sur l’intelligible, l’autre sur le même… bref, de déconstruire. Et rien que pour cela, il doit intéresser plus d’un Xhi, lequel je suis en surfant sur cette vague autochtonique…
Malcolm de Chazal, dans les années 40, dans une de ses fulgurances visionnaires, rassemblait les îles restant émergées du continent englouti dans une Fédération de l’océan Indien, FOI, et en mettait la capitale à Antananarivo. Où en est-on ? Que faisons-nous ?
Lémurifiquement vôtre. 

Johary Ravaloson

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