Lettres de Lémurie
31 mars 2016 - Cultures LivresNo Comment   //   1859 Views   //   N°: 75

« … Il y a un autre monde dehors qui est à nous aussi »
Harlem, Eddy Harris.  

Michaël Ferrier, Mémoires d’outre-mer,
Roman, collection L’Infini, Gallimard, Paris, 2015, 340 p. 

Avec « Mémoires d’outre-mer », Michaël Ferrier dresse un portrait énigmatique et tendre du grandpère qu’il a peu connu, et qu’il nous désigne tout au long du roman par son prénom, Maxime. L’on perçoit alors combien ce grand-père est devenu un familier, presque un ami d’enfance, au fil de cette enquête qui, par la voie de l’histoire familiale, nous fait pénétrer dans l’Histoire avec un grand H, par ce qu’elle a de plus éludé, de plus opaque.

L’auteur se qualifie du joli terme de Français de branche, héritier des Outre-mer : des explorateurs qui « savaient depuis longtemps que l’origine n’est rien et n’a pas plus de valeur qu’une châtaigne enchâssée dans sa bogue ou qu’un manuscrit qui reste roulé dans son étui. »

À partir d’une énigme de cimetière (mais qui est enterré dans la troisième tombe ?), et de l’épitaphe crayonnée sur la sépulture de Maxime (Ho velona fa tsy ho levona), Michaël Ferrier fait oeuvre de mémoire, et soulève le silence. Car « les mémoires ne se déchirent pas, elles s’épaulent. [ ] Elles savent que, chaque fois qu’une tombe disparaît, c’est le cimetière tout entier qui en est mutilé. »

L’enquête n’est pas facile car Maxime, acrobate, joker voltigeur et plongeur, a toujours su brouiller les pistes (et briller en piste). Depuis 1922, quand il embarque pour Mahajanga, « Maxime voyage sans papiers, presque sans argent et sans la moindre inquiétude », avec une cargaison de fauves et d’orchidées laissant à l’île Maurice sa mère et sa fiancée, jusqu’en 1972, année de sa mort, Michaël Ferrier traque les indices, imagine, et découvre dans les plis des existences tout un pan trop vite occulté : le Projet Madagascar de l’Allemagne nazie, le débarquement britannique à Antsiranana, les forces de la Résistance dans la colonie, celles de la collaboration, la peste des corps et des esprits, tout cela revit à l’aune de personnalités fulgurantes comme celle de Mme Bartolini, l’élégante directrice du cirque qui l’embauche, celle d’Arthur Dai Zong, enseignant la « Boxe du bord de l’eau », ou celle de Pauline Nuñes, la compagne pianiste.

Michaël Ferrier ponctue son récit d’anecdotes sur son travail d’écriture, et de réflexions : sur les migrations et sur cette France qu’on voudrait nous représenter univoque et homogène, alors qu’elle est « multi-territoriale, [ ], qu’elle fut aussi forgée par des hommes et des femmes aux semelles de vent, poètes et politiques, migrants et voyageurs. »

Son roman est aussi une déclaration d’amour à ce pays que son grand-père lui a permis de découvrir, à sa musicalité que le style de l’auteur rend avec bonheur (« Madagascar est un immense continent de sons et de chansons, un poème de timbres et de voix chuchote en cachette dans ses savanes et ses forêts, une réserve de musique pour le monde entier. »), aux lumières d’Antananarivo (« Antananarivo, la joie, la grâce ou l’allégresse, comme on voudra. »), aux parfums de Mahajanga.

Même si dans le roman, comme dans l’histoire coloniale, mais aussi très souvent dans le vécu des non Malgaches à Madagascar, «  populations malgaches, elles ne sont même pas mentionnées ». Enfin presque. Maxime, lui, a un zama malgache par fati-dra, un lié par le sang, Ando, qui reste également dans les plis de l’histoire, malgré les recherches de l’auteur.

Michaël Ferrier explore et voyage. Des auteurs parisiens mis en lumière dans les salons de France, « ils croient qu’ils sont heureux parce qu’ils sont immobiles » prévient-il. Il habite aujourd’hui au Japon, et sème des livres comme autant de traces et d’ailleurs possibles. Son grand-père n’en demandait pas tant. Quoique. 

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