Le seul remède à la misère
27 novembre 2018 - À lire Cultures Lire Livre du mois LivresNo Comment   //   1552 Views   //   N°: 106

Le médecin formé en France se confronte, ici, à des situations qu’il n’imaginait pas vraiment, malgré une ascendance, par sa mère métisse, en partie africaine. Jean-Louis Lesbordes a été attiré vers ce continent peut-être davantage par l’exemple du Docteur Schweitzer, mort le jour où le jeune homme commence ses études de médecine. Un signe, à ses yeux, cette disparition d’un « modèle de générosité et d’abnégation ».

D’hommes et de sable raconte un long parcours commencé à l’enfance, avec les jeux de cet âge avant la prise de conscience qui conduit vers un statut d’adulte. Et, donc, suivant son modèle, vers les soins à donner aux femmes, aux hommes, aux enfants. Dans des conditions difficiles au fil de postes successifs à Agadez (1973-1976), Bangui (1981- 1987) et Madagascar (1990-1995).

L’ensemble du parcours est raconté d’une plume alerte que nous suivons plus en détail lorsqu’elle décrit l’arrivée à « Tananarive » et les images initiales de la traversée de la ville : « L’impression première, violente, est la misère qui s’insinue partout. Misère du parc automobile avec des voitures hors d’âge, misère de ces charrettes tirées par des zébus, misère des rues de latérite, misère sur les trottoirs, partout. »

La misère, il n’a pas fini de la voir, lors d’épisodes qui délimitent avec précision le territoire de la misère. Ainsi, son gardien vient un jour lui présenter deux enfants malades, qu’il soigne pour la rougeole. Un peu plus tard, le même employé lui demande un congé d’une matinée pour enterrer son enfant. « Je me reprochai de ne pas avoir demandé à revoir ses gamins pour adapter le traitement et lui, avec un demi-sourire, fataliste et blasé, me dit que les deux enfants que j’avais soignés allaient bien. “ Celui qui est mort, c’est le petit dernier, je ne pouvais pas vous l’amener, je n’ai que deux bras. ” »

La partie de l’ouvrage consacrée à Madagascar n’est pas la plus longue – une trentaine de pages. Elle est peut-être la plus désespérante, malgré la lumineuse présence du Père Pedro. Parce que, si Antananarivo des années 90 lui évoque « une capitale figée dans les années 60 », que doit-on penser quand on constate que les anecdotes d’il y a presque 30 ans sont identiques à celles que l’on peut recueillir aujourd’hui ? Ainsi donc, rien n’aurait changé ? Les rues sont toujours défoncées, les 4’mis sont encore dans les rues et la médecine manque chroniquement de moyens…

On fait le constat, on en sort avec une boule au ventre. Et comment la faire passer ? Il ne reste qu’un remède, décidément impossible à orthographier (sinon phonétiquement) par les auteurs venus d’ailleurs mais ingurgité avec une certaine constance dans l’excès : le « tocagashi », appelons-le comme Jean-Louis Lesbordes, vous avez compris.

Jean-Louis Lesbordes. D’hommes et de sable.
La Cheminante, 245 p., 20 €

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