Lady boy
30 avril 2018 - GaysyNo Comment   //   1388 Views   //   N°: 99

D’un pas décidé j’ai quitté la maison, avec l’espoir d’une vie meilleure. Le moment est venu de vivre ma vie et de dévoiler ma vraie personnalité telle que je la sens. J’ai trouvé bien long ce moment passé auprès des miens, qui s’interrogeaient sur moi, comme si j’avais choisi d’être une fille dans un corps de garçon. Leurs phrases me déchiraient le cœur : « Sois un mec comme les autres, montres-nous que tu as une paire de couilles entre les jambes » ; « Va faire du sport, tu te feras des muscles » ; « Ne parles pas devant mes potes, tu me fous la honte avec ta voix de gonzesse. » Sans parler des injures sociales partout où j’allais, à cause de mes manières, comme ils dient, que ce soit à l’école, à l’église, au marché et même dans la rue. Sortir était un calvaire et rester à la maison un véritable supplice.

Mon plan est mûrement réfléchi avec mes neurones de 18 ans.

Première étape, une lettre que je posterai à ma mère une fois que je serai assez loin, pour la rassurer. Je sais me rendre belle ; la preuve, les premières personnes que j’ai croisées ne se sont pas doutées de mon vrai genre. Dans le taxi-brousse qui m’emmenait vers la capitale du Vakinakaratra, mon voisin n’arrêtait pas de gesticuler pour attirer mon attention. J’ai encore une longue traversée à accomplir, je préfère donc rester de marbre. Pour moi, Antsirabe ne sera qu’une étape, histoire de m’habituer à ma nouvelle peau et à mon nouveau prénom. J’ai choisi Andy parce qu’il se rapproche le plus d’Andry, mon vrai prénom.

Quelques jours passés dans un hôtel bon marché, le temps de trouver une maison à la hauteur de mes moyens dérisoires et cogiter sur ce que je dois faire pour garantir ma survie. Je me suis mise à peindre des cartes postales sympas pour les vendre aux touristes. L’originalité de mes créations plaisait et l’affaire a décollé sans trop de peine. J’ai déposé quelques-unes de mes œuvres à la réception des grands hôtels du Vakinakaratra, les proposant aussi directement aux touristes que je croisais dans la rue. Par ailleurs, je pensais qu’une formation en esthétique me serait utile. Une fois par mois, je sortais au Bira Night Club pour me divertir un peu. Plutôt solitaire, par méfiance, afin d’éviter de me faire démasquer, j’évitai de côtoyer les Malgaches. Je sais trop bien comment ils réagissent face à une créature de ma sorte.

Un étranger à qui j’avais proposé mes cartes postales le jour même vint me rejoindre au comptoir du night club, la conversation s’engagea. « Toi, tu es plus maline que les autres. En plus tu es d’une fraîcheur et d’une beauté extraordinaires. Je me nomme Paul, que puis-je t’offrir à boire ? », formula-t-il avec courtoisie. « Je prends vos propos comme un compliment. Je fais partie de cette génération qui a la rage de s’en sortir dignement. Je m’appelle Andy et un jus naturel me fera du bien », lui rétorquai-je avec un sourire. Comme je pensais que ma vie ne présentait aucun attrait pour ce bel étranger, je me limitais à cette présentation brève. Lui, avec son verre de cognac à la main, me dévoila sa vie. C’était un homme d’affaire qui passait sa vie à voyager à travers le monde. Avant de partir, il me laissa sa carte de visite et me dit qu’il serait heureux d’avoir de mes nouvelles. Il allait quitter la Grande Ile dans quelques jours.

Je me suis dit que cet homme pouvait m’enseigner les bonnes manières pour réussir en affaires. Aussitôt, je lui adressai un mail pour lui faire part de mon intention et lui avouai sans détour ma véritable identité. Il me répondit, surtout étonné que je ne lui demande pas d’argent. « Si se mettre dans la peau d’une femme te procure de l’assurance, je peux t’aider à réaliser cela. Laisse-moi un peu de temps et tu verras. » Dans ses autres mails, il m’expliqua les formes d’opération qui se pratiquent à l’étranger pour changer de sexe. Puis il m’envoya un billet d’avion pour me rendre dans un pays où se trouvait un spécialiste de cette pratique, avec tous les frais inhérents à sa charge. Ce fut comme dans un rêve et l’opération a été une réussite pour mon cas. Tant qu’à faire, j’ai opté pour une belle paire de fesses et une poitrine digne d’une star du show-business.

Comme il a une branche de produits cosmétiques dans ses différentes affaires, il m’incita de fonder mon propre business dans ce domaine avec son appui financier. Et c’est ainsi que je suis devenue le revendeur exclusif de sa marque dans mon pays. Avec un physique de vraie femme, je représente bien mes produits. Paul est resté mon mentor, préférant que je l’appelle Dady Sugar, et notre collaboration est fructueuse.

A la mort de mon père, je me suis présentée devant ma famille en créant la stupeur. J’ai participé activement aux obsèques en ne lésinant pas sur les moyens pour rendre un dernier hommage à mon père et pour montrer que la femmelette d’autrefois est désormais une « lady boy » qui s’assume, une personne sur qui on peut compter. Maintenant, j’ai gagné la confiance de ma famille, mais une chose me titille l’esprit : qu’aurait été ma vie si j’étais resté avec eux ? Si je n’avais pas réussi mon évasion, il n’est pas sûr que je serais en vie aujourd’hui…

par #Von
© Photo : Vanii Suki

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